"Vers le suicide
de la culture Européenne ?"
"Sommes
nous vraiment les héritiers de Voltaire, ou glissons nous vers la
barbarie sans nous en apercevoir?"
La lutte contre le Jihad
des fondamentalistes de l'Islam est aujourd'hui un théâtre de
guerre à ciel ouvert dont la scène est aussi vaste que l'Europe,
que le moyen orient et que le monde occidental tout entier, dont les
principaux acteurs politiques se présentent comme étant des
défenseurs de la civilisation ; un "théâtre de guerre"
donc, qui cache un autre "théâtre de guerre", en fait un
autre Jihad, qui lui, mené par les grandes puissances économiques
du marché et de la culture, écrase les peuples plus universellement
encore que les combattants du Jihad islamique. Car si le Jihad
islamique est "infiltré" dans les sociétés occidentales,
dans bon nombre de pays, et s'il frappe, s'il tue, si les actes de
terrorisme qu'il commet sont spectaculaires, dramatiques et d'une
violence extrême ; le Jihad mené par les grandes puissances
économiques du marché, quant à lui, est d'un caractère, d'une
emprise, d'une hégémonie bien plus universelle encore, et cela par
toutes les cultures de substitution, les cultures dites "plurielles",
les cultures des banlieues et des communautés urbaines et des
minorités revendicatrices, les nouvelles technologies... C'est bien
cela le "Jihad mondial" des puissances économiques et
politiques, qui porte en lui dans son ordre et dans sa gestion du
quotidien des peuples, une culture obscurantiste de masse
entièrement formatée et légiférée et soumise aux lois du marché,
aux lois sans cesse changeantes et opportunistes de l'opinion
publique, aux lois de la mode, aux lois de la pensée unique du
moment...
... Extraits de l'ouvrage de
Jean Paul Brighelli :
Repentance et
culpabilité seraient les deux mamelles de l’histoire de France, si
certains groupes de pression communautaires arrivaient vraiment aux
affaires. Avec cette gauche-là, et avec une droite encline à la
démagogie, ils sont dans l’antichambre du pouvoir depuis
vingt-cinq ans. Du Cran (Conseil représentatif des associations
noires, fondé en 2005 sur le modèle du Crif et du NAACP
américain[1]) au parti des Indigènes de la République, en passant
par SOS Racisme, nombre d’associations exaltent le souvenir de
l’esclavage et demandent réparation.
C’est
ainsi qu’en 2013 le Cran a porté plainte contre la Caisse des
dépôts et consignations pour avoir « profité de l’esclavage »
– précisément pour avoir encaissé des sommes versées par Haïti
entre 1825 et 1946 pour avoir le droit d’accéder à
l’indépendance.
«
Seize milliards d’euros », clame Louis-Georges Tin – un
personnage intéressant à tous égards, et profondément
désintéressé. François Hollande a opposé à cette demande une
fin de non-recevoir, évoquant « l’impossible réparation ». «
Le seul choix possible, le plus digne, le plus grand, c’est la
mémoire, c’est la vigilance, c’est la transmission », a-t-il
déclaré, citant Aimé Césaire. S’il suffisait de payer pour que
la dette soit effacée, expliquait ce dernier, ce serait un peu trop
simple. Mais Louis-Georges Tin, quoique tout aussi martiniquais que
Césaire, ne détesterait pas que la France payât tout de même.
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A lire également : "Voltaire ou le jihad" : comment
l'Occident s'emploie depuis plus de trente ans à déconstruire sa
propre culture
Cher
Louis-Georges Tin, puis-je vous suggérer de proposer à tous ceux
qui vous écoutent de prendre modèle sur vous, au lieu d’entonner
le chant de la revendication victimaire ? Vous avez réussi Normale
Sup, vous avez réussi l’agrégation de lettres, vous avez acquis
une culture certainement extensive : pourquoi les autres, tous les
autres, enfants de la Martinique et d’ailleurs, ne
bénéficieraient-ils pas de l’école qui vous a mis là où vous
êtes ? Pourquoi ne pas transmettre aux autres la culture dont vous
semblez gavé ? Pourquoi vous spécialiser dans la défense des
minorités visibles (les Noirs) ou invisibles (les groupes LGBT) ?
Pourquoi faire chorus avec Christiane Taubira sur des sujets clivants
en accentuant encore les fractures, au lieu de réclamer pour tous
une formation digne de ce nom – celle qui a fait de vous le
normalien agrégé que vous êtes ? Césaire était en hypokhâgne à
Louis-le-Grand, vous à Henri-IV – ce n’est pas une différence
notable –, et il est devenu l’une des grandes voix de la poésie
française et antillaise. Senghor aussi est passé par Louis-le-Grand
: l’agrégation ne l’a pas empêché d’être un immense poète
français et sénégalais, son amitié pour Georges Pompidou ne l’a
pas empêché d’être un chantre de la négritude. La République
était alors bonne fille, elle formait même ceux qui la
critiquaient. Mais ce que vous entreprenez, en réclamant par exemple
la mise en place d’une discrimination positive (sur quels critères
? La couleur de la peau ? Les origines familiales ? Le faciès,
peut-être ?), c’est au fond afficher un mépris abyssal pour tous
ceux qui n’ont pas eu votre chance : bénéficier de l’école des
années 1970-90, lorsqu’on apprenait encore à lire correctement,
que l’on faisait des dictées pour apprendre l’orthographe et
qu’il n’était pas absolument nécessaire d’être enfant
d’enseignants – comme vous – pour réussir dans un système
scolaire à la dérive.
Le
discours sur le colonialisme, l’esclavagisme et le nécessaire
sanglot de l’homme blanc dévoré de culpabilité est désormais
rodé. On enseigne à larges doses le commerce triangulaire en classe
– c’est l’une des rares choses que les élèves retiennent, en
quatrième, tant il leur est seriné. En théorie, on leur a parlé
aussi en cinquième des traites intra-africaines. Chose curieuse, ils
ont beaucoup moins capté. Le discours culpabilisateur influerait-il
sur les profs d’histoire au point de leur faire passer sous silence
le fait que ce sont essentiellement les Noirs et les Arabes qui «
produisaient » les esclaves, vendus par la suite à des négociants
européens qui les transportaient jusqu’aux Amériques ? Tamango,
jolie nouvelle pleine de bruit, de fureur et d’ironie, écrite par
Mérimée en 1829, décrit excellemment ce double mouvement – à
ceci près que le capitaine négrier embarque avec lui le chef noir
esclavagiste, qui sera le seul survivant d’une équipée sanglante.
Et gardons-nous d’oublier le million d’Européens vendus comme
esclaves par les Barbaresques au cours du seul xviiie siècle… Les
sociétés anciennes étaient esclavagistes – mais je ne sache pas
que les habitants actuels de la capitale italienne se couvrent la
tête de cendres à l’évocation des dizaines de millions
d’esclaves de la République et de l’Empire romains. Il en était
ainsi, et les esclaves antiques auraient mis les Romains en esclavage
s’ils en avaient eu l’occasion.
Alors,
suffit ! Il n’y a pas à se sentir coupable de faits (de crimes, si
l’on veut, mais pas selon les codes juridiques du temps) qui se
sont déroulés il y a deux ou trois siècles[2]. Les Allemands de la
première moitié du xxe siècle ont pu avoir une responsabilité
dans la Shoah. Pas ceux qui sont nés après 1945. Et il ne viendrait
à l’idée d’aucune organisation juive de leur demander des
comptes sur l’attitude de leurs grands-parents. Après tout, le
père de l’actuel président de la République, pour lequel vous
avez peut-être voté, était candidat d’extrême droite en
Normandie en 1959 et 1965. On peut critiquer la politique du
gouvernement sans faire un crime au chef de l’État des choix
politiques de son géniteur.
Quant
à la colonisation et à la décolonisation, autre gros morceau des
programmes d’histoire du secondaire… Ma foi, il y a eu des crimes
de guerre parce que toute guerre est en soi occasion de crimes, et
que ceux qui voudraient des guerres propres ne savent pas ce qu’est
la guerre. Si l’on veut solder tous les comptes, on n’en finira
pas. Faut-il rappeler aux descendants d’Algériens ce que leurs
pères ou leurs grands-pères ont fait aux harkis – alors même que
« harki » est toujours une injure couramment utilisée par les
organes de presse officiels d’Alger ? L’apprentissage
systématique de l’Histoire, une vraie culture historique
permettent justement de tout remettre en perspective selon la Raison,
au lieu de vivre dans la rancœur, c’est-à-dire dans le
(res)sentiment.
Tenez,
faisons un peu de culture sur la colonisation et le racisme…
Le
discours de culpabilisation commence par une citation en boucle de
l’apostrophe fameuse de Jules Ferry, en 1885, sur le « droit »
que les « races supérieures » ont vis-à-vis des « races
inférieures » – et du « devoir » que ce droit engendre. « Ces
devoirs ont été souvent méconnus dans l’histoire des siècles
précédents, et certainement quand les soldats et les explorateurs
espagnols introduisaient l’esclavage dans l’Amérique centrale,
ils n’accomplissaient pas leur devoir d’hommes de race
supérieure. Mais, de nos jours, je soutiens que les nations
européennes s’acquittent avec largeur, avec grandeur et honnêteté,
de ce devoir supérieur de civilisation. »
Voilà
le nœud du problème pour nos modernes progressistes, incultes ou
jouant à l’être, critiques de tous les colonialismes, tous mis
dans le même sac, même si la colonisation a apporté, outre les
Lumières, bien des progrès dans des régions qui mouraient au
soleil. Reprocher à Ferry ce vocabulaire racialiste est à peu près
aussi intelligent que de reprocher à Montesquieu le mot « nègre »
dans la diatribe fameuse où il prêche la fin de l’esclavage –
ce qui n’était pas rien en 1748. Ou d’imaginer un Voltaire
antisémite, alors que ses diatribes antibibliques visaient
essentiellement l’Église au pouvoir, et le pouvoir à travers
l’Église.
Clemenceau,
qui s’opposa à Ferry lors de ce fameux débat à la Chambre des
députés, le fit moins par considération humanitaire – tout le
monde s’en fichait – que par souci de polémique politicienne.
Les critiques modernes portent Zola aux nues pour avoir écrit «
J’accuse » et ne s’aperçoivent pas, faute de culture, que le
Zola de L’Argent est un antisémite standard de son époque, comme
les Goncourt, Daudet, voire Maupassant, qu’il fréquentait
assidument.
Porter
sur les hommes des siècles passés un regard strictement
contemporain nous fait passer à côté de ce qu’ils étaient et de
ce qu’ils nous ont apporté. Les Grecs ont inventé la démocratie
et vivaient dans une société esclavagiste – et alors ? Les
révolutionnaires de 1789 ont créé la République et coupé le cou
d’Olympe de Gouges, qui voulait étendre aux femmes les droits que
les hommes venaient de rédiger. Robespierre était révolutionnaire
et misogyne : disciple de Rousseau !
Et
les Modernes d’aujourd’hui sont hélas de leur temps, quand ils
crachent sur la culture et ouvrent largement la porte à des barbares
bien décidés à remplir avec leurs certitudes sanglantes le vide
patiemment creusé dans les cervelles adolescentes. Ce monde en voie
d’automutilation, je voudrais tenter de le sauver malgré lui –
parce qu’une poignée d’imbéciles ne peut pas avoir raison
contre une civilisation tout entière.
Mais
encore, me direz-vous, quel rapport entre ces tentations
communautaristes et la culture ?
Le
Cran a violemment protesté en 2008 contre l’aspect à ses yeux
excessivement culturel des concours de recrutement dans la fonction
publique, déversoir traditionnel des sociétés antillaises. Il a
suggéré que ces concours soient recentrés sur les questions
purement professionnelles et cessent d’exiger un niveau de culture
générale dont, disait-il, l’usage n’est pas bien évident dans
le cadre de leurs futures fonctions. Hmm… Combien de dialogues au
guichet seraient facilités par un niveau de connivence culturelle
adaptable ? La culture n’est pas seulement déluge de références.
Elle est usage d’une langue commune – qui tend à l’être de
moins en moins.
Quoi
qu’il en soit, le secrétaire d’État à la Fonction publique,
André Santini, a immédiatement réagi. Il a proposé de refonder
les concours administratifs dès 2009 en diminuant notablement la
part de la culture générale. « Nous avons atteint les limites d’un
élitisme stérile », s’est-il exclamé. La culture générale
était pour lui une « discrimination invisible ». La République
n’avait pas besoin de gens cultivés. Ou alors, dans des niches
spécialisées.
L’année
d’après, c’était Valérie Pécresse, en charge de
l’Enseignement supérieur, qui, après avoir suggéré un quota
pour les boursiers à l’entrée des grandes écoles – une
discrimination positive déguisée et effective à l’entrée en
classes préparatoires[3] –, affirmait, sur la foi d’un rapport
ad hoc de l’Inspection générale, qu’il fallait ouvrir les
concours aux langues maternelles des candidats – le chinois,
l’arabe ou le vietnamien, entre autres. Et repenser le poids de la
culture générale.
À
noter que ledit rapport enseignait un fait que le ministre a préféré
passer sous silence : les matières réellement clivantes, ce n’était
pas le français, c’étaient les maths, la physique, la biologie.
Ciel ! Le problème était moins l’accès à la culture des «
héritiers » qu’une descente en flèche du niveau du secondaire !
Mais l’essentiel de ce que les médias retinrent, ce fut cette
charge contre la culture générale.
Pierre
Assouline et les commentateurs avisés firent le lien avec la «
sarkozienne détestation[4] » de La Princesse de Clèves, qui avait
entraîné maintes lectures publiques du roman de Mme de La Fayette
devant les mairies de l’UMP. Comme quoi, dans ce curieux pays, on
peut s’enflammer pour un roman du xviie siècle, d’une écriture
complexe, et peut-être faire basculer une élection. La gauche, en
s’attaquant au latin, a pu récemment constater que ce « vieux
pays », comme disait de Gaulle, est encore, bec et ongles, attaché
à ses racines et à ses valeurs. La culture est menacée, mais elle
n’est pas morte, quelles que soient les attaques auxquelles la
soumettent des sectes fondamentalistes ou des libéraux mondialisés.
«
Ceux qui soutiennent la culture générale dans ce type de concours,
ajoutait le rédacteur de La République des livres, ne le font pas
dans l’idée de coller un futur pompier sur la bataille de Lépante
ou une future iconographe de la Mairie de Paris sur une question de
droit public. Il ne s’agit pas de refaire “Questions pour un
champion”, mais de posséder un niveau de langue minimum appuyé
sur des connaissances. Le but n’est pas de coller le candidat sur
les véritables intentions du duc de Nemours telles qu’elles
apparaissent à travers sa déconstruction lexicale, mais de faire
lire La Princesse de Clèves pour enrichir notre langue à tous dans
les rapports quotidiens entre administrés. […] Est-il normal que
tant de gens (chauffeurs de taxi, gardiens de la paix, fonctionnaires
de la RATP, etc.) soient handicapés lorsqu’ils cherchent une rue
sur un plan parce ce qu’ils n’ont aucune idée de la manière
dont s’écrit un nom historique pour n’en avoir jamais entendu
parler[5] ? » Et de raconter que les Américains venaient de
comprendre qu’un peu de littérature ne fait pas de mal aux futurs
médecins[6] : il apparaît que cela développe leur capacité
d’empathie et modifie même leur analyse clinique.
La
culture n’est jamais là où l’attendent ceux qui croient que
c’est une armoire à confitures. Ses effets sont toujours obliques,
jamais là où on les attend. C’est ce qui en fait la beauté et la
complexité.
Les
effets de l’inculture, en revanche, parce que c’est un corps
simple de masse moléculaire proche de zéro, sont immédiats.
[1] National Association for the
Advancement of Colored People, l’une des plus anciennes (1909) et
des plus influentes associations américaines. « Colored People »,
expression obsolète, ne s’emploie plus que dans le nom de cette
association. Les Noirs américains s’appellent désormais «
African-American ». Ils ont même tenté de discriminer le président
Obama, qui, métis d’une Blanche et d’un Africain (son père
était kenyan), ne pouvait bénéficier de cette appellation,
théoriquement réservée aux descendants d’esclaves. Ai-je le
droit d’appeler cela du racisme ?
[2] Voir sur le sujet le livre
de Paul-François Paoli, Nous ne sommes pas coupables : Assez de
repentances !, La Table ronde, 2006.
[3] On y recrute sur ordre au
moins 25 % de boursiers, parfois au détriment d’élèves mieux
placés du strict point de vue des résultats académiques.
L’égalitarisme tue l’égalité.
[4] En février 2006, Nicolas
Sarkozy s’était livré à une violente attaque contre le roman de
Mme de La Fayette, exemple type, d’après lui, des références à
bannir des concours de la fonction publique. Il est revenu souvent à
la charge, jusqu’à ce qu’il finisse par avouer qu’il avait
souffert, élève, sur les aventures du duc de Nemours.
[5] Pierre Assouline, « Dehors,
la culture générale ! », larepubliquedeslivres.fr, 2 décembre
2008.
[6] Cf. Pauline W. Chen, «
Stories in the Service of Making a Better Doctor », The New York
Times, 23 octobre 2008.