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VIII

Ainsi donc, son corps ne l'avait pas trompée. Il se souvenait de son agression répétée et lui avait envoyé signal sur signal pour qu'elle en prenne conscience. À présent qu'elle en avait reçu la confirmation, qu'allait-elle faire de cette connaissance ? Comment parviendrait-elle à se libérer de ce poids oppressant ?

La police ? Outre la difficulté psychologique de la démarche - même si l'accueil des plaignantes s'était beaucoup amélioré depuis quelques années - quelle preuve pourrait-elle apporter de ses dires ? Après son réveil, François et elle avaient fait l'amour à deux reprises. Depuis, elle s'était douchée. Aucun prélèvement ne semblait donc possible. Les empreintes ? En admettant qu'il y en ait d'identifiables, elles ne suffiraient pas à prouver l'implication de ses agresseurs. Les coupables reconnaîtraient les avoir transportés dans leurs chambres, en raison de leur état éthylique et nieraient le reste.

Le réconfort dans la confession était exclu. Elle avait perdu la foi au sortir de l'enfance. De toute façon, il n'y avait plus de curé au village. C'était celui de La Chapelle-aux-Pots qui assurait les messes et cérémonies. Le recours à la psychanalyse ? Aller courir à Beauvais ? Elle n'y croyait pas davantage. Sa mère s'était à moitié ruinée vingt ans durant pour quel résultat ? François ? Voudrait-il encore d'une fille qui s'était laissé violer ? Elle se reprit, déniant par un effort de la raison la culpabilité qui l'envahissait : d'une fille qu'on avait violée ! Non, elle ne voulait pas risquer de perdre François, à peine l'avait-elle trouvé.

Elle ne voyait plus qu'une solution : se venger ! De qui, elle le savait maintenant. En effet, son instinct lui disait que le bedeau n'avait pas menti et ne s'était livré à aucune atrocité contre elle. Restaient le fossoyeur, le boulanger et le brocanteur. Sans doute le chef de la bande, celui-là. Et puis, quel rôle Serge, le patron de l'auberge, avait-il joué exactement dans l'affaire ?

Après une nuit de réflexion, elle décida tout d'abord de passer l'éponge sur le méfait du sacristain, à deux conditions :

— Je ferai tout ce que vous me direz, Mademoiselle Rose, vous savez bien.
— Parfait, Firmin. Je ne porterai pas plainte contre vous si vous me révélez tout ce que vous savez sur la préparation et le déroulement de votre expédition et si vous gardez le silence vis-à-vis de vos complices. Je vous écoute.

Quatre-et-trois-font-sept raconta alors par le menu comment, la semaine précédente, leur était venue une frustration de plus en plus grande à la pensée qu'un étranger allait sans doute recevoir les faveurs de Rose. Comment, soir après soir, verre après verre, ils s'étaient monté le bourrichon. Comment ils avaient finalement imaginé de droguer les tourtereaux, d'abuser chacun leur tour de Rose endormie, puis de placer dans son lit François toujours dans les bras de Morphée, afin de dissimuler leur forfait. Comment un mouvement soudain de leur victime avait provoqué sa fuite à lui, et comment enfin le brocanteur l'avait obligé à transporter François dans le lit de Rose avant de le laisser partir.

Le temps des questions difficiles était venu. Elle avait besoin de réponses précises.

— Firmin, savez-vous ce qu'a fait le brocanteur après votre départ ?
— Ce n'est pas un homme à renoncer, Mademoiselle Rose, vous le savez bien.
— Mais vous n'avez pas la preuve qu'il soit resté dans la chambre après vous ?
— Euh... non. J'ai filé sans attendre.
— Firmin, avez-vous vu ce qu'on fait le père Adolphe et Froment ?
— Jamais de la vie, Mademoiselle. On avait tiré à la courte paille. Ils étaient premier et deuxième. Moi troisième. Et le brocanteur dernier. Le fossoyeur et le boulanger sont entrés dans votre chambre chacun leur tour. Ils sont restés une dizaine de minutes, peut-être un quart d'heure. Ça m'a paru long, mais c'est toujours long quand on attend son tour.
— Firmin !
— Pardon, Mademoiselle Rose.

Rose-Adélaïde Foulques de Tinville avait trouvé dans l'élaboration de son projet un certain détachement de ce qu'elle avait subi, mais pas encore à toute épreuve.

©Pierre-Alain GASSE, mars 2012.