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Remue-méninges

Comme on pouvait s'y attendre, les seules empreintes que l'on a trouvées sur le fourgon sont celles des différents personnels de la Funds Co qui ont été en contact avec le véhicule depuis son dernier lavage, l'avant-veille.

De toute manière, en l'absence de demande de rançon comme de découverte de cadavre, la seule hypothèse de départ à retenir est celle du chauffeur voyou. Après, qu'il ait des complices ou pas, est un autre aspect de l'affaire.

Des complices à l'intérieur ou à l'extérieur de l'entreprise de transport de fonds, ou de la banque, ou des deux ?

L'examen des procédures de travail propres aux deux établissements, dans un premier temps, ne révèle rien d'anormal. Avant que l'un des deux collègues de Denis, longuement interrogé, ne lâche que ce n'est pas lui qui a ouvert le compartiment arrière, lors du premier chargement, mais le chauffeur, contrairement à la règle.

Un soupçon sérieux de préméditation se fait jour. 

Comme je le supposais, à mon retour au bureau, nous sommes convoqués, moi et Simon, chez le divisionnaire, que le Préfet a déjà sommé "de se remuer le train", je cite, (décidément, où allons-nous si même les énarques se foutent de la politesse !).

Dutertre nous attend debout derrière son bureau, arpentant les six mètres de large de la pièce en allers-retours visiblement énervés. Je tente d'affronter le gros temps en parlant la première, mais il me devance d'un théâtral :

— Alors, Plassard, c'est la Bérésina ou quoi ?
— Comme vous y allez, Patron, il y a à peine une heure qu'on est sur le coup !
— Peut-être, mais là-haut, ils sont déjà sur les dents, et vous savez pourquoi ?
— J'ai ma petite idée, oui, réponds-je avec impertinence : le montant du vol, la cible, et le mode opératoire.
— Je vous écoute...
— Eh bien, un casse de onze millions d'euros, sans violence aucune, au détriment de la Banque de France, il n'est pas tellement étonnant que ça fasse grincer des dents, en haut lieu, comme vous dites, Patron.
— OK, Plassard, convient le Commissaire, mais vous en êtes où ?

C'est Simon, avec sa diplomatie habituelle, qui prend le relais :

— Les collègues du chauffeur, en première analyse, sont dans le noir complet. Le gars, selon eux, est très fiable, de l'ancienneté, du sérieux. On a vérifié : en effet, pas un écart en dix ans, mais... il aurait néanmoins commis une entorse à la procédure, en conservant les clés du compartiment arrière du fourgon, à l'issue du premier chargement, rue de la Visitation.
— Et pourquoi ce conditionnel, Le Lagadec ?
— À cause de la très faible distance entre les deux lieux de chargement : deux cents mètres à peine. On pourrait prendre cela comme une simple négligence, volontaire ou pas, de sa part. De plus, ses deux équipiers étant novices (ils ont été embauchés il y a moins de six mois), il ne craignait pas trop un rappel au règlement de leur part. 
— Sa hiérarchie aurait formé un trinôme bancal pour un transport d'un tel montant ? Cela m'étonne de la part du Colonel. Vérifiez qui était sur le listing qu'il a validé. Et puis, faites-moi la totale sur ce gars : famille, amis, études, train de vie, etc.
— C'est comme si c'était fait, patron, s'empresse de répondre Simon, histoire de mettre un peu d'huile dans les rouages.

Manque de chance, le Commissaire n'est vraiment pas dans un bon jour :

— Gardez votre brosse à reluire pour un autre jour, Le Lagadec. Plassard, je vous donne une semaine, pas un jour de plus, pour me retrouver ce fuyard. Et le fric ! Rompez !
— Bien, patron.

Nous sortons du bureau, sans autre forme de procès. L'heure n'est pas aux discussions.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, 2010.