Il est de ces oiseaux dont on regarde passer le vol parce que les dieux en ont peuplé le ciel… Il en est d’autres qui vont à la rencontre des enfants de la Terre et se posent sur les rebords de fenêtres et même parfois, mais plus rarement, dans le creux des mains… Ils ne cessent d’émettre le premier chant, espérant ainsi que la voix des enfants de la Terre suivra. Mais la voix ne vient pas. Ainsi en est-il de ces oiseaux que les dieux n’ont pas élu : s’ils ne vont pas au devant des voix, sur le rebord des fenêtres, s’ils n’émettent pas et gardent leur chant en eux, il ne sera jamais personne pour lever les yeux sur leur vol ou écouter leur chant.

 La relation avec l’autre ne s’établit généralement que par la démarche qui consiste à tenter de joindre cet autre. Et lorsque la relation s’établit, elle ne dure vraiment que le temps de son existence. Chaque renouvellement de la relation demeure très souvent dépendant de la même démarche à sens unique.

J’ai peu connu en ma vie de ces êtres qui, inlassablement, tentaient de joindre l’autre sans attendre que l’autre fasse le premier pas.

J’ai peu vécu en ma vie de ces relations qui n’aient point été subordonnées à cette même démarche mille fois renouvelée, à sens unique…

Cela tient, je crois, au fait que la plupart des humains sont comme les oiseaux d’une même espèce, d’une même contrée, d’un même habitat, d’un même chant, d’un même vol : ils se regroupent entre eux, forment des communautés ou des clans, et n’ont donc pas besoin de « cet autre venu d’ailleurs ».

 Or chacun de nous, en ce qui le singularise, est « cet autre venu d’ailleurs ». Et le clan, c'est-à-dire le « noyau relationnel », occulte en partie cette singularité qui est en nous. Il n’est donc pas aisé d’extérioriser de la manière la mieux appropriée, ce qui nous singularise. Mais il n’y a pas d’autre choix que de prendre le risque de le porter en avant, puisqu’il n’est que très rarement découvert.

 Les oiseaux dont on regarde passer le vol parce que les dieux en ont peuplé le ciel, n’ont en fait, jamais été « bénis » des dieux : les dieux les ont « hissé » dans le ciel pour l’éclat dont ils pouvaient jouir auprès des enfants de la Terre.

On ne perçoit presque jamais le chant de l’oiseau dans ses nuances les plus subtiles. Il semble que l’essentiel soit que le chant plaise au plus grand nombre. Les dieux ne cessent de peupler le ciel d’oiseaux dont le vol n’a pas besoin d’être cherché pour être vu.

 Dans une relation qui demeure dépendante d’un courant à sens unique, il arrive un moment durant la traversée de la vie, où s’installe une lassitude, où vient une interrogation sur le sens de la relation… Alors l’approche de l’autre, à force d’être répétée, cesse de contenir cette part de rêve, d’aspiration et d’imagination qui la chargeait de sens et de force…

L’on peut bien passer sa vie à toujours faire le premier pas, ou à extérioriser ce qui nous singularise, l’on ne reçoit que rarement en retour cette reconnaissance dont nous avons besoin, tout simplement, pour exister… Cela est tragiquement vrai en particulier dans les relations qui nous sont les plus essentielles : celles de l’environnement familial. Etre tenu par exemple, pour la « 5ème roue de la charrette » par un gendre, une belle fille, le compagnon de sa fille ou la compagne de son fils, n’est pas une situation « confortable » relationnellement parlant. Il en est de même pour un garçon ou une fille mal reconnu par la famille dans laquelle il entre et qui, de surcroît, est un « étranger » dans sa propre famille. Ce sentiment de « ne pas compter », d’être perçu comme un « meuble faisant partie du décor », et parfois l’expression d’une contestation systématique intervenant à tout propos…

Tout cela finit par retenir le moindre élan vers cet autre dont on aurait tant souhaité être aimé, effacer toute espérance, contribuer à la formation d’un « glacis »…

Toute extériorisation, alors, du plus vrai de soi-même, devient un grand saut dans le vide… Comme un « saut à l’élastique du pont de Luc Saint Sauveur sans élastique »… Est-ce un « mal en soi », d’attacher une certaine importance à ce que l’autre perçoit ? Et de chercher à le savoir ? Avez-vous jamais rêvé, dans votre vie, de faire le grand saut à l’élastique, depuis le parapet du plus haut pont du monde ?... Avec l’élastique, bien sûr ! Et quelles personnes auriez vous aimé avoir auprès de vous, le jour du grand saut ? Auriez vous souhaité sauter jusqu’au fond de la vallée, un jour de printemps, d’été, d’automne ou d’hiver ?