… Ou : « Un rêve absurde » que je fis, dans la nuit du 6 au 7 Août 2007… Note : Dans la première partie de ce récit, il m’a paru nécessaire de relater un épisode particulier, à propos de ce « papa Blaise » que j’ai connu jadis à la poste de Bruyères… En effet il existe un lien, un « drôle de lien » en fait, entre ce que je raconte au début (et qui est vrai)… Et ce « rêve absurde »

     … C’était le « papa Blaise »… Le « papa Blaise » fut l’un de mes anciens receveurs de la poste de Bruyères entre avril 1986 et janvier 1990… En ce temps là, la poste s’appelait encore « PTT », et le « patron » du bureau de poste était le receveur. Le « papa Blaise » était un homme âgé d’une cinquantaine d’années, au visage peu avenant (il ne souriait ni ne riait jamais), assez gros, bedonnant, bougon et généralement de mauvaise humeur. Je le surnommais « Firmin le bougon ».

 L’une de ses « spécialités » (ou de ses préoccupations quotidiennes) consistait en la recherche des « fausses directions ». Il inspectait les sacs postaux fixés aux crochets d’une « batterie », plongeait un bras jusqu’au fond du sac et retirait un colis, puis vérifiait si la destination du colis correspondait bien à ce qui était inscrit sur le « collier bulle » glissé sous l’un des crochets maintenant le sac. Ces « fausses directions » étaient relativement fréquentes lors du tri des colis en partance pour le centre de tri d’Epinal, et nous essuyions tour à tour, chacun de mes collègues et moi-même, de sévères remontrances. L’erreur à chaque fois, était mentionnée dans le « cahier d’incidents », avec le nom du « coupable » et le nombre de fautes commises par jour, par semaine et par mois…

Si le « papa Blaise » avait pour « dada » la recherche quotidienne (systématique et répétée) de ces « fausses directions » ; un certain Guy Sembic, lui, affecté à l’un des postes de guichet, avait une autre « spécialité », celle des erreurs de caisse. Je « battais tous les records » en la matière, aux dires du « papa Blaise » et des inspecteurs de la « Das Reich » (c’est ainsi que nous surnommions les inspecteurs de la grande direction d’Epinal) qui, une fois l’an, passaient tout le bureau au « peigne fin »…

Je me souviens qu’un jour de fin d’année, entre Noël et Nouvel an, en 1987, j’eus un déficit de caisse de l’ordre de 1000 Francs, qui succédait à d’autres erreurs de 50 à 300 Francs durant toute l’année. En ce temps là, nous n’étions pas encore informatisés à la poste de Bruyères, et nous « faisions la caisse » en fin de vacation en comptant la monnaie et les timbres, utilisant des machines à calculer de poche, et inscrivant les sommes, en recette ou en dépense, sur une bande comptable… Je constatai toujours avec stupeur et désarroi cette « mystérieuse » différence entre le chiffre du sous total en rouge sur la bande comptable, chiffre censé représenter après saisie des opérations, le montant de la « sous caisse », et le chiffre en noir obtenu par addition de la monnaie et de la valeur des timbres dans la « sous caisse ». Certes nous avions tous, les uns et les autres, nos « expédients » ou nos combines pour faire honorablement coïncider les deux chiffres, le rouge et le noir… Mais ce jour là, en cette fin décembre 1987, le 30 pour être vraiment très précis, il m’eût été vain de trouver un « expédient » relativement crédible.

Quelques jours plus tard je fus convoqué dans le bureau du « papa Blaise » et menacé d’une mutation d’office dans un « service pourri » de l’arrière (ce qui ne m’arrangeait guère vu que les horaires de ce service me privaient de mes après midis de liberté). J’avais un délai de trois mois pour m’améliorer, et ne devais plus faire la moindre erreur supérieure à 10 Francs…

 Etant « assez expert » en « expédients » (et pour cause !) je savais comment « effacer » jusqu’à des 300 ou même 500 Francs d’erreur… (Il suffisait pour cela de deux ou trois semaines d’ajustements divers, de jeux de chiffres, et surtout de la certitude que durant le mois en cours, la « Das Reich » ne pointerait pas le bout de ses canons inquisiteurs).

Autant que je me souvienne, en cette fin d’année 1987, je « travaillais » sur un texte assez long (j’avais toujours dans l’une de mes poches un carnet, et durant les heures « creuses » de guichet, entre deux « clients » ou deux opérations, je poursuivais quelque rédaction d’un passage de mon histoire). Ce texte était une ébauche, un embryon en fait, de ce qui devait être plus tard une première version du « Pays des guignols gris »…

Le « papa Blaise » lorsqu’il me convoqua dans son bureau cependant, en dépit de son caractère bougon et de son visage si peu avenant, me déclara qu’il était absolument désolé de devoir prendre des « mesures » à mon sujet, et qu’il décidait de m’octroyer un délai de trois mois. Il me demanda même si je n’avais pas personnellement des « problèmes » d’ordre familiaux, psychologiques ou de santé et que si tel était le cas, il voulait bien m’écouter.

Et je lui dis alors l’exacte vérité : j’étais un rêveur, j’écrivais et ne pouvais me passer d’imaginer sans cesse des histoires… Il eut pour conclure cet entretien, ces mots, souriant presque : « Ah c’est ainsi ! Et bien je comprends à présent ! »

     Dans le rêve que je raconte ici, le décor est complètement différent de celui de la réalité que je viens d’exposer… Le bureau de poste n’est plus cette ancienne halle aux grains du moyen âge de Bruyères, devenue dans les années 60 un lycée, puis en 1982, un bureau de poste. C’est une très grande maison forestière située en bordure de la ville au pied d’une colline boisée et entourée de jardins, dotée d’une monumentale cheminée à l’âtre placée au centre de la maison, d’une vaste pièce de séjour servant de salle de tri pour les facteurs, et d’une autre salle aménagée pour l’accueil du public et pour les opérations de guichet. Le « papa Blaise » dispose dans cette demeure, à l’étage, d’un appartement de fonction.

« Grand chasseur devant l’Eternel », passionné et solitaire, il parcourt les bois environnants durant des dimanches entiers, tirant lapins, chevreuils, sangliers… Il a tué un jeune chevreuil qu’il a nettoyé, préparé sans toutefois le dépecer, et l’a couché dans son congélateur. Survient une panne d’électricité lors d’une tempête hivernale. Le chevreuil, dégelé durant trois jours, a quelque peu « faisandé »… Par prudence, n’osant le recongeler, « papa Blaise » décide de se débarrasser du chevreuil. Il le rôtit dans la cheminée, ou plus exactement, le « grille » superficiellement. Il descelle les éléments constituant la base de la cheminée, puis enfouit le cadavre dans une fosse emplie de terre, de gravats et de cailloux, en dessous de l’âtre et reconstitue la base de la cheminée.

     Des années passent… « Papa Blaise » quitte le bureau de poste, déménage et prend sa retraite. La maison forestière n’est plus un bureau de poste mais un centre de vacances, de loisirs ou de séjour, régulièrement occupé par des groupes, des membres d’associations diverses…

Et je demeure là, avec d’autres personnes, des amis artistes, littéraires, randonneurs, cyclistes… Des personnes qui, sans cependant être vraiment des ami(e)s, me sont connues et familières d’assez longue date…

Un soir de pluie nous décidons d’allumer un feu dans la cheminée. Très tard dans la nuit bien avancée, alors que nous venions de passer ensemble une soirée très animée, très conviviale mais aussi très « arrosée », et qu’un tas de braises rougeoyait encore dans l’âtre, vint une lueur orangée, brillante et mouvante, sur la plaque située juste derrière le foyer…

C’est alors que surgit un animal étrange, « mort vivant », ressemblant par la tête à un renard, à une vache naine et à un petit cochon noir… Cet animal au poil tout brûlé, recroquevillé en fœtus au ventre gonflé et dur, se contorsionnait lentement et ses petits yeux noirs brillaient d’un regard vif et perçant, au dessus des braises.

 Personne ne bougea ni ne prononça un mot… Ni ne prit de décision. J’attendis un quart d’heure environ, espérant que l’un ou l’autre de mes amis réagisse, mais tous semblaient pétrifiés et demeuraient immobiles, sans réaction aucune… L’on eût dit qu’ils visionnaient sur un écran de télévision, quelque film d’horreur et d’épouvante, en spectateurs confortablement installés et sans doute heureux que cet animal, même « mort vivant », ne vienne leur grignoter les pieds… Je saisis une longue et lourde pince, posée sur le côté de la cheminée, et assenai un coup violent, sans hésitation, sur le crâne de l’animal. Puis je déclarai vivement « Il faut l’enterrer ».

 Mais où ? En quel endroit ? Tout autour de la maison forestière, il n’y avait que des parterres de fleurs, des allées, de la pelouse… Un grand chemin longeait le parc attenant et menait, au bout, à une route bordée de gros talus terreux et de fossés emplis de gravats. Avant qu’il ne fît jour, je traînai le cadavre de l’animal, suivi de mes amis formant une petite troupe avançant en rang (et toujours aussi peu loquaces) jusqu’aux talus et aux fossés. Je savais qu’il était formellement interdit d’enterrer des animaux morts à proximité des habitations mais je pris le risque à cette heure de la nuit précédant la venue du jour, d’enfouir le cadavre dans la terre et les gravats du fossé. Je pris soin d’observer qu’il n’y avait aucune lumière aux alentours et que personne ne venait sur la route.

Ce qui m’étonnait le plus dans cette affaire, était la passivité de mes amis présents, comme s’ils ne se sentaient nullement concernés, me laissant seul la responsabilité et l’initiative de l’enfouissement de l’animal après que j’eûs occis ce dernier, apparu tel un « mort vivant » flottant au dessus des braises.