Le Blog de Pierre-Alain GASSE

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mercredi 22 décembre 2010

Le Fourgon - Nouvelle policière - Chapitre 4


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Des longueurs d'avance

Au commissariat, ce jeudi matin, c'est la routine habituelle : de la viande saoule en cellule de dégrisement, dans la cage, deux ou trois putes surprises à racoler du côté de la Gare et, dans mon bureau, un petit dealer ramassé à l'entrée de son lycée. Rien que du menu fretin. C'est moi qui suis de permanence et le Commissaire n'est pas encore arrivé. Comme dab' !

À neuf heures trente, l'une des lignes directes avec les établissements sensibles sous surveillance continue se met à clignoter. Moi, qui sirotais un café en laissant moisir mon client sur sa chaise, je jette un coup d'œil sur le voyant : Banque de France ! Allons bon ! Encore une alerte à la bombe. Depuis l'entrée en vigueur du plan Vigipirate, niveau rouge, ça n'arrête pas. Le clignotement s'accélère. Merde ! Un braquage ?Je vide mon café d'un trait, en me brûlant la langue au passage, et j'appuie sur deux boutons du standard téléphonique : une sonnerie stridente retentit dans le commissariat et bientôt le planton entre dans le bureau :

— Christelle, mettez-moi cet oiseau en cage et tout le monde sur le pont. On sort.

Dans les bureaux, chacun ouvre les tiroirs pour récupérer son arme et la mettre dans son holster. Je suis déjà dans le hall, portable à l'oreille, cherchant à joindre le directeur de la Banque de France. Je m'adresse à mes hommes :

— Alerte à la Banque de France. C'est tout ce qu'on sait pour l'instant. Trois équipes sur place : Sim et moi. Duvauchelle et Lamy. Poitrenaud et Samzun. Les autres en standby. Gilet pare-balles pour tout le monde.

Sa mutation à Rennes, après son exil lannionnais*, avait valu à la Briochine Bénédicte Plassard de retrouver à la P.J. rennaise, un collègue avec qui elle avait fait ses premières armes* : Simon Le Lagadec, surnommé Sim sans autre raison que la commodité.

Le Commissaire Dutertre n'avait pas tardé à comprendre qu'il fallait reformer une équipe qui avait jadis donné entière satisfaction à son collègue de promotion Le Puil, jusqu'à la mutation disciplinaire de Bénédicte dans le Trégor.

Et c'est ainsi que l'on avait vu renaître ce duo improbable d'une belle plante brune de près d'un mètre quatre-vingt en jean, T-shirt moulant et blouson de cuir, aux côtés d'un petit gros affublé d'un informe costard en velours côtelé, hiver comme été. Sans compter le bout de bois de réglisse que le bonhomme mâchonnait à longueur de journée pour tenter de se désintoxiquer de son paquet quotidien de gitanes maïs sans creuser davantage le trou abyssal de la Sécu.

Dans la Mégane du service, gyrophare bleu sur le toit et pare-soleil rabattu pour faire apparaître la mention "POLICE", Sim conduit pied au plancher, surfant sur la vague du trafic matinal encore dense à cette heure, à travers la ville de Rennes. Ça lui rappelle ses années de pilote de rallye. Comme quoi, rien ne se perd. Derrière, les autres tentent de suivre. Moi, accrochée de la main droite à la poignée de maintien, je téléphone de la gauche. Pas moyen de joindre la Banque de France. Ni le standard, ni le portable du Directeur. Ça sonne occupé de partout. Je m'apprête à laisser un message quand finalement, le dirlo décroche :

— Capitaine Plassard, Police Judiciaire. Nous avons reçu un code 3. On est en route. Que se passe-t-il ?
— C'est une guichetière qui a actionné l'alerte sur demande de deux convoyeurs de la Funds. Ils commençaient à charger des sacs de pièces. Leur collègue les attendait au volant du fourgon, moteur en marche. À leur premier voyage, plus de fourgon. Évanoui, volatilisé. Sans un bruit. Sans une détonation.
— Vous pensez à quoi ?
— Ou le chauffeur a déverrouillé une portière parce qu'il connaissait celui qui le lui a demandé (usurpation d'uniforme, complicité interne...) ou il s'est fait la malle tout seul avec son fourgon.
— Et...
— Et on est dans la merde, parce qu'ils venaient de charger onze millions d'euros avant les pièces.
— Waouh ! Mais le fourgon est traçable, non ?
— Le fourgon va être abandonné très rapidement.Mon téléphone clignote pour un double appel. — Bon, je vous rappelle, j'ai le Directeur de la Funds en ligne.
— Allô, oui ?
— Nous venons de localiser notre fourgon dans la ZUP Sud, à l'arrêt, rue Mathurin Méheut, en face du n° 35. Le GPS a été déconnecté, mais nous avons un mouchard traceur qui a parlé.
— Bien reçu. Nous y allons de suite.Je préviens par radio mes deux voitures suiveuses et elles modifient aussitôt leur itinéraire, pour arriver, moi par le haut de la rue, une autre par le bas et la dernière par une rue transversale. C'est un sens unique, mais on ne sait jamais.

J'ai fait taire les sirènes, enlever les gyrophares et relever les pare-soleil. Mais les hommes ont passé leur brassard de police et enfilé leur gilet pare-balles.

Les trois voitures stoppent en crabe autour du fourgon. Les hommes descendent et progressent, arme à la main, à l'abri des carrosseries des véhicules en stationnement.

Hélas, le fourgon est vide. Vide devant : pas de chauffeur. Vide derrière : porte déverrouillée et compartiment délesté des onze millions d'euros de billets neufs aux numéros non encore répertoriés. De rage, j'en donne un violent coup de pied dans un bas de caisse qui ne m'a rien fait.

— Putain ! Il nous a bien eus, ce petit con ! Bon, une équipe pour les constatations : Duvauchelle et Lamy. Vous sécurisez le périmètre et attendez les gars du labo. Les autres, on rentre.

  • Cf.Quand Mam Goz s'en mêle, 2008.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, 2010.

dimanche 19 décembre 2010

Le Fourgon - nouvelle policière - Chapitre 3


Denis joue la fille de l'air

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 Jos est déjà à son poste dans le compartiment arrière qui lui est réservé. Denis vérifie qu'il a ses badges en poche, déverrouille la portière conducteur du fourgon et embarque. Paul monte à ses côtés, puis verrouille la sienne. Denis fait de même.

La check-list se déroule sans encombre sur son écran de contrôle : la grille du centre fort coulisse sur son rail. Denis embraye. Il est huit heures quarante-cinq. À cette heure-là, avec la circulation, ça va leur prendre un petit quart d'heure pour se rendre sur place.

Paul surveille les rétroviseurs, Denis conduit en souplesse, attentif au moindre mouvement de tous les véhicules qui l'entourent. Il a déjà été braqué une fois. Ce serait bien le moment !

Neuf heures pile. Denis se gare sur l'emplacement réservé aux transport de fonds devant la succursale de la Banque de France, rue de la Visitation. Il déverrouille les portes du fourgon. Paul, pistolet-mitrailleur au poing, sécurise l'entrée, Jos va chercher onze paquets filmés de noir qu'il ramène sur un chariot de la Banque. En un rien de temps, ils sont entreposés dans le compartiment sécurisé qui est bouclé à double tour.

Denis rend compte au P.C de la première partie de leur mission. R.A.S. !

Le prochain arrêt se trouve de l'autre côté du pâté de maisons, dans une annexe de la B.F. rue Vivier. À la lecture du planning, Denis n'a pas compris pourquoi il n'avait pas été prévu de tout réceptionner au même endroit. Enfin, ce n'est plus son problème à présent. Tout ce qu'il sait, c'est qu'il y a encore six sacs de pièces à prendre.

Neuf heures quinze. Jos entre dans l'annexe. Là, il n'y a pas de chariot. Et les pièces, ça pèse un max. Paul appelle Jos en renfort, comme Denis l'avait prévu.

Les deux hommes disparaissent de sa vue. Le moteur du fourgon continue de tourner. Il a toujours en poche la clé du compartiment arrière. Paul n'a pas tiqué quand il l'a ouvert à sa place tout à l'heure.

Denis respire un bon coup, met son clignotant et démarre, direction la ZUP Sud. S'il a bien calculé, le voilà "dépositaire" de plus de onze millions d'euros. Mais concentré sur sa conduite, il s'interdit toute manifestation d'euphorie. La partie ne fait que commencer !

Il ne verra pas Paul et Jos, laisser tomber de stupeur leurs sacs de pièces sur le trottoir : Plus de fourgon, plus de Denis, plus de fric !

Oh, putain ! C'est quoi ce pastis ?

(à suivre)

jeudi 16 décembre 2010

Le Fourgon - nouvelle policière - Chapitre 2


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À l'embauche

Vestiaires des transporteurs, société de transport de fonds Funds Co, centre fort de Rennes.

— Salut Denis.
— Salut, Jos, salut, Paul, y'a quoi au planning ce matin ?
— La BF et le circuit habituel, itinéraire C, je crois. Briefing dans cinq minutes, a dit le boss. On est les derniers à partir.

Les trois hommes finissent de revêtir leur uniforme de travail, assez semblable à celui de la police, question forme et couleur. Mais, y'a l'inscription de la boîte dans le dos et la casquette cubaine en plus. Sans oublier le gilet pare-balles, depuis 2000 (merci M. Chevènement !).

Denis lace avec soin ses rangers. Il se campe en position de tireur debout pour vérifier sa stabilité. Impec. C'est super-important d'être bien dans ses godasses.

Les trois hommes se rendent au stand d'armement. Le préposé ouvre le coffre, sort et vérifie trois revolvers 9 mm MR 73 chambrés en .38 spécial, avec leurs munitions et 3 pistolets-mitrailleurs Micro Uzi et leurs chargeurs ; ils signent les bons de remise, ajustent leurs ceinturons. Chargent le barillet des revolvers des six balles réglementaires et vérifient la sécurité de leur arme avant de la ranger dans son étui. Ils placent également un chargeur de 20 cartouches dans les Uzi. Vérifient là aussi les mécanismes de sécurité.

Dans la salle de préparation, l'horloge digitale affiche 7:30. Au rapport !

Ils entrent dans le bureau du chef de centre. Un colonel en retraite, pas porté sur la rigolade. Pour un peu, faudrait faire le salut militaire et tout le toutim. Mais par chance, la norme imposée par la boîte, c'est position repos, jambes écartées, mains dans le dos.

Avec ses dix ans d'ancienneté, Denis est le plus chevronné du trio. Il est le chauffeur du fourgon. Il y a deux mois à peine que les deux autres font équipe avec lui. Jos sécurise le véhicule. Et Paul fait entrer et sortir les fonds. À quatre, ce serait mieux, mais pour ça, il faudrait qu'il aient de la route à faire, pas que de la ville. Comme si y'avait moins de risques, tu parles ! 

Les convoyeurs de fonds qui n'ont pas le droit de fumer dans l'exercice de leur mission, sont avec les flics les plus grands consommateurs de chewing-gum que Denis connaisse. Il faut bien distraire la peur d'une manière ou d'une autre ! Et y'a pas intérêt à arriver au boulot chargé. Sinon, c'est la porte illico. Normal. C'est pourquoi Denis s'est acheté une conduite. Eau gazeuse, jus de fruit et bière sans alcool. Mais dès qu'il aura palpé et sera en sécurité, il a bien l'intention de rattraper le temps perdu. "Cigarettes, whisky et petites pépées", comme disait cette chanson à la télé dans une émission rétro. À lui la belle vie !

(à suivre)

dimanche 12 décembre 2010

Le Fourgon - nouvelle policière - Chapitre 1


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Denis gamberge

"Denis Popovič" - né de parents serbes dans la Krajina - pour tout le monde ici est Denis Popovich, fils d'émigrés russes de la 3e génération, et on lui fiche la paix. C'est lors de son passage à la Légion Étrangère qu'il a pu faire ajouter ce h à la fin de son patronyme. Seuls son employeur et quelques amis connaissent ses véritables origines. Il ne s'en vante pas, car pour les gens tout ce qui vient de l'ex-Yougoslavie, c'est plus ou moins racaille et compagnie. Mais il enrage de ce mépris généralisé.

Ce matin-là, Denis se réveille plus tôt que prévu, malgré le somnifère léger pris la veille au soir. Les digits luminescents du radio-réveil marquent cinq heures. Sous le volet roulant incomplètement baissé, la lueur d'un gyrophare filtre. Sa couleur orangée le tranquillise. Ce ne sont pas les flics. Il écoute quelques instants les bruits familiers des éboueurs. Puis se tourne vers le mur, essayant de se rendormir pour une demi-heure encore.

Mais rien à faire.Il tend le bras à la recherche d'un corps chaud contre lequel se serrer, voire plus si affinités, mais se souvient aussitôt qu'il n'y a plus personne dans sa vie depuis quelque temps déjà. Il aurait peut-être dû appeler une fille. Pour le mental, c'eût été tout bon, mais pour la sécurité, cela laisse trop à redire. Il n'a voulu prendre aucun risque.

Côté imprévus, il a déjà été bien servi. Obligé d'aller se pointer chez les flics parce que sa bagnole avait été accidentée. Des petits cons qui s'étaient défoulés sur cette tire de riche qu'ils ne pouvaient voler ! Pneus crevés, carrosserie rayée, pare-brise enfoncé. Seulement, l'assurance, pour casquer, voulait un papier officiel. Pas moyen d'y couper. Du coup, toutes les caméras du commissariat ont pu le retapisser pendant une plombe au moins. De toute façon, avec son boulot, il est marron de ce côté-là, depuis le début. Alors, inutile de se monter le bourrichon avec ça. Plus facile à dire qu'à faire.

Cinq heures et demie. Ce matin, il embauche à 7. Il va être temps qu'il décanille du lit. Il a résilié ses abonnements depuis plusieurs jours, mais, comme en principe, il n'y a plus de coupure effective entre deux locations, il sait qu'il aura de l'eau chaude. Heureusement, parce que les douches froides, merci bien ! À la Légion, il a assez donné.

Cette nuit, il a rêvé en serbo-croate. Il était dans son village et se faisait engueuler par sa mère qui lui reprochait d'être encore rentré à pas d'heure. Ça faisait longtemps ! Sa mère ; après, sa femme ; sa fille même. Que des emmerdes avec les meufs ! Alors, maintenant, plus de fil à la patte. Denis veut être libre. Et pour être libre, faut être riche.

Eh bien, c'est pour aujourd'hui. Assez longtemps qu'il attend ça. Il a tout préparé. Minutieusement. Ça ne peut pas foirer ! Allez, debout !

(à suivre)

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