A propos de cette réflexion de Maurice Blanchot :

« Ecrire, serait-ce devenir lisible pour chacun et pour soi-même indéchiffrable ? »

Je pense que beaucoup d’écrivains sont lisibles par un grand nombre de leurs lecteurs, et se sentent eux-mêmes déchiffrables lorsqu'ils se relisent : j’imagine qu’ils n’ont pas de difficultés à se relire… Sans doute ont-ils effectué quelques corrections ou ajustements, mais dans l’ensemble, ils se sentent parfaitement lisibles… Ceux là sont des auteurs « de grand public »… On les trouve aujourd’hui, bien plus encore que jadis, « à la pelle »…

D’autres écrivains ne sont lisibles que par un nombre restreint de lecteurs dont la sensibilité, l’esprit et le cœur dirais-je, leur sont proches. Ces écrivains là, aussi, doivent se sentir déchiffrables par eux-mêmes… Et ils corrigent et ajustent, également. Mais ils n'ont pas la faveur du grand public...

Il en est d’autres qui ne sont lisibles par presque personne mais parfaitement déchiffrables à eux-mêmes… Ou au contraire indéchiffrables à eux-mêmes et sans doute illisibles aux autres : ceux là n’ont aucune chance d’être reconnus de leur vivant, et cette vie qui est la leur, bien plus intérieure qu'extérieure, tourne comme dans une planète creuse dont le ciel est de roche et tout illuminé...

Quant à ceux qui sont lisibles pour chacun et pour soi même indéchiffrables, ils ont peut-être réussi à se faire exister par le plus grand nombre...

Sont-ils, ceux là, des passeurs ou des messagers, parvenus à se libérer de cette pesanteur en eux, rendant illusoires et dérisoires leurs aspirations ? Et peuvent-ils s'approprier ce qui existe en eux et les dépasse?

S'approprier ce qui existe en soi , et une fois bien défini, bien forgé, l'exporter, c'est sans doute une assurance prise sur la reconnaissance et sur la lisibilité... Mais à quoi sert la lisibilité si elle n'apporte que des réponses qui arrangent ou occultent des passages?

Ce qui existe en soi, dont on est conscient sans forcément le comprendre vraiment, et que l'on utilise seulement en partie, et pas forcément à bon escient ; existe aussi sous une forme inconnue ou nouvelle, ailleurs qu'en nous-mêmes. Se l'approprier c'est comme voler le ciel au dessus de notre tête. Le rejoindre, et en même temps rejoindre ces formes inconnues et nouvelles, pour un écrivain, est, je crois, l'espérance d'être lisible...