PIROUETTES DANS LE COULOIR, ET PETIT CINEMA EN BOITE

      En 1951 j'étais encore à l'âge de trois ans, à Cahors, comme beaucoup d'enfants de cet âge là, habillé d'une barboteuse. Mes parents s'étaient installés dans la maison située au 2 rue Emile Zola.

Je n'avais pas encore cette phénoménale mémoire des dates que j'eus par la suite.

Un jour ma mère m'annonce la visite prochaine de ma tante Paulette, la plus jeune des soeurs de mon père, et de sa fille Danièle alors âgée de trois ans et demi. Maman me dit : “c'est ta cousine”.

“C'est quoi une cousine?” demandai-je à ma mère.

“Ce n'est pas tout à fait une petite soeur, mais cela y ressemble, et c'est différent de l'une des fillettes que tu rencontres à l'école des tout-petits enfants où tu vas et que tu aimes bien” me répondit ma mère...

J'imaginais une petite fée ayant l'apparence d'une fillette, et qui pourrait bien être comme une “fiancée”, mais tout de même pas comme une fiancée que l'on embrasse en amoureux...

J'attendis donc avec autant de patience et d'émotion que d'émerveillement et de rêve, la venue de cette cousine...

Et le jour arriva donc...

Lorsqu'elle m'apparut bien réelle avec son visage de petite fille sage, habillée d'une jolie robe blanche à volants, coiffée “à la garçon” à cheveux raides, mi longs , noirs et lisses ; me regardant de ses yeux frondeurs et scintillants comme de petites étoiles ; je sentis un immense bien être m'envahir d'un seul coup. Je n'osais cependant exprimer dans l'immédiat mon bonheur ni exploser de joie devant les grandes personnes présentes qui se demandaient bien si nous allions nous accorder. Je sentais que ce que j'éprouvais n'était “pas leur affaire” et qu'il y avait là, quelque secrète émotion à ne point étaler devant tout le monde...

Dans la maison de la rue Emile Zola, depuis la porte d'entrée donnant sur la rue jusqu'à la porte de la cuisine, il y avait un grand couloir et de part et d'autre de ce couloir, les chambres, le salon et la salle à manger. Le sol de ce couloir était recouvert d'un “lino” très glissant et brillant comme un miroir. Et sous le “lino”, c'était du ciment.

Et je me mis devant Dany, à faire des cabrioles, des “vols planés”, et toutes sortes d'acrobties de singe... Au risque de collectionner bleus et bosses. Et j'y allai de tout mon coeur, exlosant de rire, sans ménagement pour mes petits os, mes coudes et mes genoux.

.... Dans les années où nous demeurions à Cahors entre 1951 et 1957, durant les vacances d'été que je passais alors à Rion des Landes auprès de mes grands parents maternels, j'allais aussi à Arengosse qui est le village des Landes où mes parents se sont connus et où vivait “petite mémé” mon arrière grand mère, la maman de Mamy... Mon père avait à Arengosse sa grande soeur Jeanne et son beau frère Gaston Dupouy, tous deux instituteurs de l'école publique du village.

Jeanne et Gaston ont d'abord habité la “vieille école” qui fut démolie, rasée et reconstruite “ultra moderne” pour l'époque.

Janette fut l'aînée de mes cousines, née en 1939, puis vint Jean Pierre en 1941 et enfin Marie Françoise en 1945.

L'une de mes distractions favorites lorsque je me rendais chez mon oncle et ma tante, consistait pour l'essentiel à “tout chambouler” dans les deux classes de l'école. J'ouvrais les tiroirs, les armoires, je remuais de fond en comble tout ce qui me tombait sous la main, rêvais devant le globe terrestre et les cartes de géographie... Surtout la “France muette”... Je feuilletais les livres, regardais les images, les photographies...

Il régnait dans cette école, une atmosphère totalement différente de celle des classes du lycée Gambetta à Cahors qui, elles, étaient de classes de ville, sévères et sans attrait...

Durant mes “investigations” apparaissait parfois Marie Françoise qui se joignait à moi, très discrète et avec une touchante et émouvante délicatesse... J'appréciais beaucoup sa présence...

Il y avait un appareil très drôle qui ressemblait à un petit cinéma en boîte contenant dans un tiroir des plaques de verre de photographies en noir et blanc : c'étaient de magnifiques paysages, des scènes pittoresques de toutes les régions de France. En fait, chaque plaque de verre comportait vingt vues, soit vingt petits rectangles, et l'on faisait glisser la plaque de verre derrière deux “yeux” entourés d'un cercle noir. Sur le côté du “cinéma en boîte”, l'on actionnait de gros boutons en cuivre ou en bois afin de faire défiler les vues. La luminosité et la précision des vues était telle, que cela donnait une impression de relief, comme du cinéma en 3 dimensions, saisissant de réalité et de vie... Ce n'était pas comparable avec des photographies “normales” ni avec des cartes postales. Les personnages semblaient animés, vivants, et on les aurait tenus dans le creux de la main...

En compagnie de Marie Françoise dont je sentais l'agréable présence à mes côtés, je passais et repassais toutes les plaques...

Dans mon imagination, tous ces personnages si petits et si vivants étaient comme des gens que je connaissais ou avais connus dans ma vie, que j'aimais beaucoup, que j'aurais voulu voir sortir de la “boîte magique” et tenir dans le creux de ma main... Et chacune de ces petites personnes, sentant à quel point je les pouvais aimer, m'aurait sans doute dit, d'une toute petite voix : “ S'il te plaît, gros géant, existe moi!”

Ainsi aurais-je aimé tenir dans le creux de ma main, ma cousine Marie Françoise... Mais je ne le lui dis pas...