TITAIN, AVEC DES HARICOTS VERTS

    A la fin de l'année 1959 dans les grands quotidiens d'information, l'on annonçait la venue des « nouveaux francs » qui auraient cours à partir du premier janvier 1960.

Nous utilisions cependant les pièces de monnaie « algériennes » aux faces un peu différentes de celles de la « métropole ». Mais la grosse pièce très légère et d'un gris très terne de cinq francs, quant à elle, et qui avait cours de Dunkerque à Tamamrasset, devait encore servir d'obole pour faire monter et descendre l'ascenseur Roux Combaluzier de notre HLM à coursives...

Ces « nouveaux francs » nous paraissaient « magiques » - mais fort trompeurs – car en ce temps là, les prix devenaient « astronomiques » notamment lors d'achat de meubles ou de voiture, avec tous ces zéros...

Mon père gagnait aux PTT, 120 000 francs par mois ; monsieur Champion à la SNCF, 70 000 francs... Et une « sténo-dactylo » dans un bureau ou une caissière de super marché gagnait 45 000 francs par mois.

Noël approchait, mais la vie en Algérie étant très chère, ma mère un « panier percé » et nos amis les Champion « sur la corde raide »; il n'était pas question de sapin (introuvable d'ailleurs) ni de guirlandes électriques ni de « beaux et coûteux cadeaux »... D'autant plus que mon bulletin scolaire affichait au terme du 1er trimestre des résultats catastrophiques, je ne devais donc pas m'attendre à des miracles... Mon père toutefois, crut bon de « se fendre » d'une méthode « linguaphone » d'Allemand comportant un coffret de disques 45 tours de leçons et d'un livre de cours et de grammaire.

Le lendemain du jour de Noël je fus très surpris de ne pas voir courir Titain, le lapin, chez Champion. D'ordinaire Titain gambadait partout, dans toutes les pièces de l'appartement, déposait ses chapelets de petites crottes sous le grand lit qui servait de divan dans la salle à manger – salon, ou sautait parfois sur les genoux de la grand mère au moment où elle ouvrait son boîtier de tabac à priser...

« Et où est passé Titain? » demandai-je à madame Champion.

« Ah, mon petit... » répondit madame Champion « Tu sais, les temps sont durs, nous dansions devant le buffet vide. Nous avons juste trouvé une grosse boîte de haricots verts et nous avons fait Titain à Noël avec des haricots verts . Et papa a pu acheter pour 60 francs une « mouna » avec des morceaux de fruits confits et des cristaux de sucre dessus...

Ainsi finit Titain le lapin, qui fut acheté au marché de Montpensier, « tout frétillant de vie » pour 500 anciens francs, deux mois plus tôt...

Par la suite, les Champion prirent en pension « Pomponette » une jolie petite chatte de trois couleurs : orange, blanche et noire ; qui jouait avec « Fatma », ma tortue...

Mais un jour, le 20 mai 1960, Pomponette, qui s'était perchée sur le rebord du balcon de la coursive, perdit l'équilibre et tomba du 9ème étage de l'immeuble...