MIREILLE, LES WESTERNS DU JEUDI ET "MON AMIE FLICKA"

    Nous vivions tous dans un climat de violence, d’insécurité permanente, de conflits raciaux ou intercommunautaires, au gré de situations familiales et d’altercations entre voisins ou habitants de la cité. Inévitablement venaient des fâcheries, des bagarres, du raffut… Mais les gens cependant se « raccommodaient » vite et à l’exception des conflits sans solution ni compromis possibles, il n’y avait pas de rancune tenace. Lorsqu’on s’était verbalement étripé et que l’on avait échangé quelques gestes, bras d’honneur ou autres, l’on buvait à nouveau l’anisette ou le café ensemble.
Avec nos voisins les Champion nous n’avons jamais eu de « mots » ni de regards noirs ni de bouderies. Les Champion étaient des gens simples, truculents, « folkloriques », rudes par moments mais très gentils bien que leur gentillesse ne se manifestât point forcément par une chaleur humaine explosive…
Madame Champion avait une sœur ayant épousé un huissier de justice, qui avait comme elle nous disait « réussi dans la vie », et qui s’était installée en Algérie, à Blida, avec son mari, monsieur Saulnier. Relativement aisés, ces gens là avaient fait construire une maison située entre le village de Montpensier et Blida, presque en face précisément du terrain vague où j’avais « allumé » Oudjaoudi pour me venger de « l’olive » et des deux heures de colle…
Monsieur et madame Saulnier avaient un fils, Hubert, qui était donc le cousin de Mireille mais dont nous n’apprécions ni Mireille ni moi, la compagnie parce que nous le trouvions « suffisant », trop imbu de lui-même et assez égoïste. D’ailleurs les Champion entretenaient peu de relations avec les Saulnier qui étaient selon eux des gens d’un autre monde que le leur… Et madame Champion disait à propos de sa sœur:
« elle n’a jamais eu que ce qu’elle mérite et elle n’est bonne à rien! »
Mes parents n’étaient pas cependant en mauvais termes avec ces gens là puisque, lors des évènements dramatiques de mai 1962 alors que nous nous préparions à l’exode, ils nous avaient proposé de faire déménager notre appartement après notre départ d’Algérie et d’entreposer nos meubles, nos caisses de vaisselle, de livres et de vêtements chez eux à l’intérieur de leur maison. Mais ce ne fut pas pour nous une « bonne affaire » : dans les jours qui suivirent l’indépendance, leur maison fut pillée et brûlée et lorsqu’ils embarquèrent à leur tour sur le port d’Alger, ils ne purent faire suivre que deux ou trois caisses de vaisselle et d’objets personnels nous appartenant.
    De décembre 1959 jusqu’au 22 mai 1962, Mireille fut ma « grande copine », telle une « sœur jumelle » bien que nous soyons séparés de 14 mois : j’étais né le 9 janvier 1948 et elle le 9 mars 1949.
Et Mireille fut bientôt rejointe par Micheline, née le 2 juillet 1950, la fille de Roger Darmon, lequel Roger devait devenir le compagnon de ma mère en 1962 après notre débarquement à Marseille…
Mireille était une fille aux cheveux noirs et mi-longs lui tombant sur la nuque, avec une peau blanche et un joli visage, très douce, très gentille, romantique et très sensible;  ayant cependant, poussé à l’extrême, le sens des réalités. Ensemble nous avons passé des heures à discuter, non seulement de tous sujets d’actualité mais aussi de tout ce que nous avions l’un et l’autre vécu depuis notre enfance.
Mireille comprenait tout et pour une fille de cet âge là, son esprit et sa sensibilité étaient particulièrement ouverts à tout ce qui touchait à l’univers du relationnel, à ce qui entrait dans la vie des gens et pouvait les influencer.
Dans les premiers temps nous n’avions ensemble que des activités habituelles pour des garçons et des filles de cet âge là entre douze et treize ans : jeux de cartes, jeux de société tels que le Monopoly, lecture d’illustrés, jeux de construction, pâte à modeler et dessin.
Lorsque mes parents eurent la télévision, un gros poste avec un écran « géant », en noir et blanc, une seule « chaîne » reliée jusqu’à 20h au relais d’Alger et ensuite au relais de Paris ; une télévision qui avait coûté 145000 anciens Francs, nous regardions ensemble avec Mireille et plus tard Micheline, le jeudi après midi, le grand western de la semaine et le samedi soir une série américaine très en vogue à l’époque, intitulée « Mon amie Flic ka »…