Sur France 2 le jour où fut annoncé la mort d’Henri Salvador, l’on diffusait vers 23heures un film documentaire sur la vie et l’œuvre de Coluche disparu lui, le 19 juin 1986.
Ce jour là, ce 19 juin 1986, j’étais dans mon jardin et travaillais la terre avec une bêche et un faussoir. Divers outils de jardinage ainsi que des pots, des cagettes et de petits tas de mauvaises herbes traînaient un peu partout, éparpillés dans les allées et devant la maison…
Il était environ 19 heures, le temps était au beau et en ces longues soirées de juin dans mon jardin, j’avais toujours près de moi un poste de radio.
Tout à coup j’entends « Coluche est mort »… Suivent quelques informations sur les circonstances de sa mort, un accident de moto. Ma première réaction fut « c’est une blague »… Coluche en effet, pouvait très bien avoir monté un canular afin de faire croire à sa mort. Que n’avait-on pas déjà entendu et vu de sa part!
Et les bulletins d’information se succédèrent de minute en minute… Il fallut bien se rendre à l’évidence : Coluche était mort!
Le faussoir m’est tombé de la main. Et moi qui d’ordinaire suis si ordonné et ne laisse jamais rien traîner dans le jardin après un travail, j’abandonnai tout sur place, m’assis par terre et me mis à pleurer comme un enfant sans pouvoir m’arrêter. Trois jours après les outils de jardinage, les tas d’herbes, les cagettes et les pots étaient encore dispersés autour de la maison…
    Un an plus tard, le 19 juin 1987, l’on diffusait à la télévision un programme en souvenir de Coluche, qui devait durer trois heures et dans la perspective duquel je me réjouissais à l’avance tant la présence de cet artiste, de ce personnage comique hors du commun était encore vive dans ma mémoire…
Pour rien au monde je n’aurais voulu manquer ce spectacle et comme le temps en cette mi juin 1987 était à l’orage je me disais « pourvu que ça pète pas trop fort et trop près de la maison au moment de l’émission! »
Au jour venu, le temps avait été assez calme, ensoleillé et chaud jusqu’au soir…
Puis s’amoncelèrent tout au dessus du col de l’Arnèle et vers le Nord, d’énormes nuages sombres tout bourgeonnants et en quelques minutes tout le ciel fut envahi, devenant une voûte noirâtre. Il était 20 heures, un fort coup de vent balaya le paysage. Le terrible orage éclata, démentiel, et tous les chemins, les prés, le jardin et la petite route devant ma maison ne furent que torrents dévalant et bouillonnant. Cet orage dura jusqu’au milieu de la nuit, il n’y eut plus d’électricité et mon garage fut complètement inondé. A quelques mètres de la maison, en contre bas dans le pré, fuyait une immense nappe d’eau aussi agitée qu’un lac en furie…
J’étais plus chaviré dans mon âme et dans mon cœur que je n’étais inquiété de l’eau entrant dans ma maison, de la désolation du jardin et des quelques dégâts causés par l’orage.
Moi qui d’ordinaire ne prend jamais les colères du ciel pour quelque « signe » que ce soit, malédiction, punition divine ou autre connerie dans ce genre, étant plutôt d’esprit scientifique et philosophique ; je vis par cet orage cette fois là, un « signe » funeste… Comme si le monde après la disparition de Coluche ne « tournait plus pareil »…
Du temps de Coluche en effet, il me venait un « autre regard » sur les misères du monde, les malheurs des gens, la maladie, la mort et les guerres… Ou la politique, l’économie, la société en général… Il me semblait que par la présence sur la scène ou sur l’écran de la télévision, de Coluche ; le monde demeurait malgré tout « vivable ». Et que l’on pouvait même, mieux encore que de survivre au pire, vivre en dépit du pire ; ne plus penser dans cette vie que l’on vivait telle qu’elle était, que la maladie et la mort ; l’adversité, la perversion, l’hypocrisie, la trahison, la violence, la misère et la solitude pointaient sans cesse le bout de leur visage… Parce que tout aussi proches de nous que fussent tous ces tristes visages ; dans le temps de ce rire à nul autre pareil qui nous secouait à la seule vue de la « bouille » d’un Coluche affublé de sa salopette ; ces tristes visages devenaient « invisibles »… Ou surréalistes.
Il fallait assurément ressentir au plus profond de soi ces intonations de sa voix ; accorder son esprit à ce qu’il exprimait avec autant de drôlerie, de truculence, de dérision et de générosité, pour être convaincu de l’impermanence de tout ce que l’on déplore, de tout ce que l’on subit et qui nous écrase de sa pesanteur…
En fait c’est cela je crois, son « message » : c’est des conneries tout ça, tout ce que l’on nous fait croire… Et le pire, et tout ce que l’on nous dit du pire, n’aura jamais le dernier mot parce qu’il se lèvera toujours quelque part, en quelque pays du monde que ce soit, des « rigolos qui foutront la merde dans le schmilblic » et rempliront des salles entières de spectateurs… Ou squatteront les télés, les rues et les places publiques…
    C’est tout cela que je ressentais du temps de Coluche… tout cela que personne ne peut réinventer tel que l’avait inventé Coluche.
… Moi tu sais, Coluche mon pote… Lou bon diou, lé religion, li gri-gri et lé zamulètes… Et Jupiter dans le carré de Saturne et d’Uranus ; le Zodiaque et tout le tremblement, l’horoscope et les ascendants Capricorne ou Verseau… Tout ça c’est pas plus mon truc que les partis politiques, la mode, les marques, les belles bagnoles et les placements en bourse!
Y’a des fois, je crois même pas à ce que je vois… Alors ils peuvent repasser les faiseurs de miracle, les diseurs de bonne aventure et autres « peigneurs dans le sens du poil ou de la queue »!
… Ah, si! Un jour à la foire du Trône en 1967, y’ a Sonia, une voyante dans une roulotte de romanichel qui m’a dit, pour 20 balles, que je mourrai à 87 ans!
Oh, putain, qu’est-ce que je vais avoir les foies, l’année de mes 87 balais!