Dans toute la confédération des Planètes Autorisées, l’on dénombrait environ cent mille races différentes de cette espèce dominante appelée les Humanuscules, sur la plupart des mondes également habités par plusieurs centaines de milliards d’autres espèces vivantes.
 Le groupe central des galaxies reconnues et explorées effectuait sa révolution autour d’un noyau de particules qui semblait se condenser à l’infini.
Depuis une durée de 3000 révolutions, les Planètes Autorisées formaient une confédération née d’un mouvement socio culturel généralisé.
 Le Culte de la Différence alors, fédéra cent mille races d’Humanuscules sur des milliers de planètes. Sur certains mondes l’on dénombrait jusqu’à 40 races différentes. Comment d’aussi innombrables cultures, de langues écrites et parlées, de modes de vie si divers ; avaient-ils pu former cette mosaïque de peuples sur les planètes de douze galaxies, comme autant de vitraux illuminés de cent mille cathédrales par le feu des étoiles ?
C’était bien là, le secret du Culte de la Différence, cette nouvelle idéologie apparue au bout de cinq milliards de révolutions et d’une somme d’expériences traversées par des milliards de générations d’Humanuscules.
Dans le Grand Livre de la Connaissance Universelle, il fut un jour écrit par un Humanuscule habitant une planète appelée La Terre : « C’est par l’observation de tous petits êtres, les fourmis, que finit par germer dans l’esprit de quelques chercheurs une idée très simple : l’idée selon laquelle devant le pire danger ou les pires difficultés qui soient et affectant la communauté toute entière, les êtres vivants (en l’occurrence les fourmis) pouvaient se regrouper, s’organiser, assurer leur survie et donc la continuité de leur espèce… »
En effet un groupe de biologistes avait noté la réaction immédiate des survivants d’une colonie de ces petits insectes après l’incendie de leur « cité »…
Un Humanuscule venait par jeu de brûler une énorme fourmilière, après en avoir d’ailleurs brûlées plusieurs autres dans le même espace boisé où il se promenait habituellement. C’était là un geste gratuit qui n’avait eu d’autre motivation que le plaisir de détruire. Parfois il arrivait qu’un incendie naturel se déclare. Mais l’un des chercheurs du groupe de biologistes s’était aperçu que les fourmis ne réagissaient pas de la même manière selon la cause de l’incendie.
 Lorsque l’incendie n’avait pas une cause naturelle reconnue de la communauté, que la destruction survenait rapidement, de manière très violente et imprévue ; que la disproportion était plus importante entre la brutalité de l’évènement et l’insignifiance des moyens de défense ; alors plus les perceptions sensorielles, la transmission de messages visuels ou olfactifs semblaient ouvrir à ces insectes un espace de communication leur permettant de se « relier » entre eux.
 En fait ce qui les « reliait » s’apparentait à une nouvelle forme « d’intelligence »… Et très vite, les fourmis reconstituaient la base d’une nouvelle « cité ».
 Il arriva un jour que des fourmilières résistèrent aux flammes et notamment aux flammes provoquées par l’explosion de gaz ou de substances volatiles toxiques. Les Humanuscules, ceux de la Terre et ceux des autres mondes en ce temps là, et durant des milliers d’années encore, vécurent dans l’ère de la Non Différence, subissant la diversité comme une calamité universelle qui jamais selon leur entendement, ne serait en mesure de les unifier.
 Cependant, les idées développées par quelques chercheurs, intellectuels, scientifiques, biologistes, suite aux découvertes faites sur le comportement des insectes, firent leur chemin en traversant plusieurs générations d’Humanuscules jusqu’à ce grand bouleversement socio culturel, philosophique et scientifique qui s’appuya désormais sur le « Collectivisme Eclairé » et le Culte de la Différence.
 Mais depuis 3000 révolutions quelques groupes d’Humanuscules demeuraient farouchement opposés au Culte de la Différence et se régénéraient sans cesse sur presque toutes les Planètes Autorisées sans jamais cependant constituer une force capable d’inverser le nouveau mouvement universel.
 Tous ces partisans de la Non Différence prétendaient que plus grande était la diversité, et donc plus généralisé et dominateur le Culte de la Différence, moins la maîtrise de l’univers connu serait possible dans l’avenir…
 Pour réduire la diversité selon eux, il fallait la briser, la concasser dans l’uniformité, en éliminer les éléments les moins assimilables, et à cette fin, revenir à l’ordre qui prévalait il y a plus de 3000 révolutions…
      Au-delà des dernières galaxies répertoriées, à la périphérie des lointaines « banlieues » de l’Amas Principal et de ses galaxies satellites, s’étendait l’incommensurable, l’inconnu… Peut-être un ou plusieurs univers…
 L’on savait déjà que « là-bas », toutes les lois de la mécanique céleste n’avaient plus cours – Y avait-il seulement des lois ?- Qu’en était-il donc de la gravitation universelle ; de la naissance, de l’évolution et de la disparition de la vie végétale ou animale sur des mondes qui n’étaient plus des mondes mais plutôt de gigantesques pulsations de cœurs alternativement sombres ou lumineux palpitant en un rythme irrégulier… Est-ce que tout cela avait un sens ? N’était-ce pas absurde ?
 Comme si un « Dieu » inexpérimenté, une espèce de « créateur » féru de connaissances incomplètes et aussi maladroit qu’un apprenti alchimiste ayant trop tôt quitté son maître ; avait créé cet univers « avorté »… C’est là ce que ressentaient les Humanuscules lorsqu’ils s’aventuraient au-delà des dernières galaxies.
 Et il y avait ces « Planètes Non Autorisées », ces mondes inidentifiables en perpétuelle mouvance désordonnée, qui pulsaient comme des cœurs de pieuvre, au sol mouvant, à l’atmosphère changeant de couleur en un instant, à la rotation saccadée…
 Des formes de vie s’y seraient paraît-il développées ? Mais quelles formes de vie ? Selon quelles lois dans une telle instabilité ? Sur ces mondes, si la vie était venue, elle aurait en fait « avorté ».
 Ce que l’on savait par les rares sondes spatiales revenues à leur base, c’était que ces formes de vie décelées, micros ou macros organismes, semblaient se comporter sans aucune autonomie, évoluant au hasard de rencontres fortuites, ou vivant par procuration, utilisant ou reproduisant des cellules d’autres organismes… Etaient-ils, ces « êtres », comme des virus ? Mais des virus encore plus étranges que ceux que l’on avait tout récemment répertoriés sur les Planètes Autorisées ?
 Ces organismes étaient de toute évidence incomplets, peu adaptés à l’environnement dans lequel ils évoluaient, et totalement dépendants de l’existence d’autres organismes. Une dépendance d’ailleurs, qui n’obéissait à aucun principe logique. Se reproduisaient-ils par division ou par multiplication du noyau cellulaire ? Si toutefois l’on pouvait appeler « noyau », ce « solénoïde » microscopique pulsant comme les anneaux d’un ver, se divisant en anneaux plus petits ou se multipliant à vitesse variable, empruntant une partie de la substance d’un autre « noyau » tout en rejetant lui-même une partie de sa propre substance !
      Alors les Humanuscules, toujours plus nombreux et encore plus diversifiés sur leurs « Planètes Autorisées » se posèrent une question qui devint de jour en jour plus préoccupante dans leur vie :
 « Existe-t-il des limites au-delà desquelles le Culte de la Différence n’est plus envisageable ? Le concept de diversité peut-il intégrer aussi ce qui est situé au-delà de tout ce qui entre dans cette diversité ? L’apprenti alchimiste doit-il retrouver son maître qu’il a quitté ou perdu… Ou peut-il devenir lui-même son propre maître par ses « élucubrations créatrices » ?