Bérénice à la maison de retraite se laissait pousser les ongles et remuait la terre d’un massif de fleurs chaque fois qu’elle propulsait son fauteuil roulant dans la grande allée du parc.
 Autrefois en ce lieu l’on exploitait une mine de fer à ciel ouvert et la terre était noire, lourde, imprégnée de poudre de minerai.
 Les ongles de Bérénice devinrent durs, métalliques, crasseux, noirs, pointus et recourbés comme des griffes, tant elle remuait la terre de ses doigts…
Bérénice autrefois, avait été une star, une étoile du monde, avec une chevelure flamboyante et un visage ravissant…
Et aujourd’hui âgée de 92 ans, pensionnaire en maison de retraite médicalisée ; déchue de son pouvoir, elle faisait caca sous son fauteuil quand on l’embrassait, s’enhardissait de grimaces, de noires œillades et de pincements furtifs auprès des filles de salle, du jardinier, du cuisinier et des infirmières de nuit. Lorsque l’on évoquait sa gloire passée, que l’on lui parlait des gens qu’elle avait rencontrés, de ses succès et de ce qu’avait été sa vie ; elle pétait bruyamment, lançait un rot caverneux ou levait un doigt en l’air, les autres doigts repliés…
Si on lui montrait la couverture d’un magazine qui la représentait alors, elle vous arrachait des mains le magazine et le déchirait en petits morceaux, avec rage…
 Un jour, elle ouvrit la cage du canari, dans le hall d’entrée de la maison de retraite, se saisit de l’oiseau, le serra comme pour le broyer dans sa main et l’embrocha avec une aiguille à tricoter.
 Un autre jour, elle creva de l’un de ses ongles recourbés, l’œil d’un enfant de six ans venu lui apporter un bouquet de fleurs…