Il devait être âgé d’environ vingt ans, ce jeune là… Et cela se passait dans une forêt proche de la zone suburbaine où il demeurait sans doute.
 C’était au croisement de plusieurs chemins forestiers, en un lieu peu fréquenté envahi de ronces et de grands arbres tordus dont le feuillage épais, luxuriant et étouffant de moiteur, était chargé d’odeurs lourdes…
Ces chemins de terre et de cailloux s’enfonçaient sous les arbres tels de gros boyaux tourmentés, sombres, cannelés de plis de verdure et n’incitaient guère à s’y promener…
A ce croisement de chemins, il se trouvait assis à l’arrière d’une voiture en compagnie de trois autres personnes.
 L’une de ces personnes était âgée d’environ 50 ans, peut-être le père du jeune homme. L’autre était une femme du même âge, peut-être la mère du jeune homme. Et la troisième était une femme beaucoup plus jeune, peut-être la jeune amie de celui qui semblait être le père…
La voiture, une puissante cylindrée, était très grosse et elle avait une carrosserie massive, des roues de tracteur aux pneus très larges.
 La femme qui pouvait être la mère du jeune homme ne disait rien et se tenait assise près du jeune homme : elle était bien là, mais elle avait l’air absente, comme sans existence…
La jeune femme était vraiment très jeune, coiffée court, le visage rond, un regard vif et noir, petite, un peu rondouillarde, vêtue d’un tricot léger style débardeur avec de grandes rayures en travers, et d’un pantalon moulant qui mettait en valeur un fessier plantureux.
 Cette jeune femme paraissait vulgaire, maquillée d’un rouge à lèvres pétant et de paillettes en becs de perroquet…
L’homme, le « père », riait très fort avec sa petite amie et tous les deux se moquaient du jeune homme, en particulier la « poulette »…
Les plaisanteries étaient de très mauvais goût et heurtaient la sensibilité de l’adolescent à peine parvenu à l’âge adulte.
 Brusquement la jeune femme se saisit du volant de la grosse voiture et, de seulement deux doigts de chacune de ses mains, elle le fit tourner très vite dans tous les sens… Alors la voiture tournoya, patina, fit des « têtes à queue » à n’en plus finir, tout en restant sur place.
 Et c’était impressionnant de voir ce lourd véhicule tourner ainsi sur lui-même à toute vitesse à la croisée des chemins, arrachant et propulsant d’énormes mottes de terre et aboyant de toute la fureur de son moteur en surchauffe.
 « Fais-en autant, c’est très facile, vas-y, tu verras, avec les deux doigts là ! » s’exclama la jeune femme s’adressant à l’adolescent… Et elle força ce dernier à s’installer sur le siège avant du conducteur, lui maintenant les doigts serrés autour du volant, le moteur ronflant déjà.
 Le jeune homme eut peur et ne voulut rien faire… La jeune femme insista puis se fâcha : « bougre d’imbécile ! Va, t’es pas foutu de faire bouger cette bagnole ! Pauvre con ! »
 Alors le jeune homme explosa d’une colère noire, une vague de violence aussi soudaine que sauvage l’envahit d’un seul coup, il saisit la jeune femme au cou avec ses mains et serra très fort en la secouant, lui donnant des coups de genoux dans le ventre…
 « Saloperie ! Tu vas me foutre la paix, oui ? Puisque c’est comme ça, je me barre, vous ne me reverrez plus… Foutez vous cela dans la tête une bonne fois pour toutes et surtout ne l’oubliez jamais : j’ai pas besoin de vous dans la vie, je peux vivre sans vous ! »…
 Ces derniers mots, le jeune homme les avait criés de toutes ses forces, avec une rage démesurée d’une violence inouïe…
Et il s’enfuit en courant, au milieu des bois, suivant l’un de ces chemins dont on ne savait où il pouvait mener. Et peu lui importait où il allait désormais, puisqu’il était en premier lieu libre… Libre avant d’être seul.