Ce vieil homme ressemblait à un mendiant. Mais il ne tendait jamais la main et ne demandait rien. Il n’était ni plus riche ni plus pauvre que bon nombre des habitants de son village. Il marchait tout droit sur la route, allant sans cesse de l’avant. Il voulait voir le soleil en face de lui sans se retourner mais la route qu’il suivait, filait en direction du nord… Imaginant que tous ceux, avançant comme lui tout aussi droit, recevaient la lumière du soleil dans leurs yeux ; il savait bien cependant, que chacun suivait en réalité son propre chemin… Ou quelque autre chemin qui lui avait été indiqué ou suggéré…
 Le prenait-on pour un mendiant ce vieil homme fagoté comme un chemineau... que l’on s’empressait de courir vers son champ, vers sa maison, vers son ouvrage à réaliser afin d’éviter de croiser son regard…
Mais de quoi semblait-il si « mendiant » ? Lui qui ne tendait jamais la main et ne demandait rien à personne ?
 Ne cessant d’avancer tout droit vers le nord du pays, lorsque venait le soir, c’étaient les lumières de la nuit qui lui venaient devant ses yeux… Les lumières des étoiles, les lumières des maisons des hommes dans les villages.
Et la nuit était froide comme la glace de l’hiver à la surface des étangs quand souffle la bise. L’on s’y sentait très seul dans le milieu profond et comme prisonnier du temps de cette nuit éclairée des hommes et des étoiles.
 Sous une voûte grisâtre aux fluorescences électriques, dans la traversée de ces villages aussi urbanisés que les banlieues des grandes mégapoles, c’était le jour dans la nuit…
Un jour, il n’y eut plus ni matin, ni soir… Et toujours cette route, ces routes, ces espaces sans horizon au dessus desquels apparaissait un disque pâle et informe à travers un rideau de verre dépoli : c’était peut-être le soleil.
 Alors le vieil homme, lorsque ses yeux étaient trop fatigués, marchait à côté de la route ; en bordure des champs et des jardins entre les villages urbanisés, le long des entrepôts, des hangars et des parcs à autos dans la traversée des « ZAC » et des « ZI »…
Dans les jardins, il lui arrivait de marcher sur les salades ; dans les champs il écrasait les jeunes pousses et dans les « ZAC » et les « ZI » il donnait des coups de pied dans les détritus éparpillés au sol…
Du jour où il n’y eut plus ni matin ni soir, et encore et toujours cette route, ce soleil gommé ou ces fluorescences électriques, le vieil homme avançait mais le sens de ses pas lui paraissait absurde, irréel…
Il se souvenait d’un pays où il était né et qu’il ne pouvait situer, un pays où le soleil était chaud, le ciel sans poussières, la nuit sans fils de lumières bleues ou rouges et les yeux jamais fatigués…