Voici Pierre et Jean, deux enfants qui écrivent une lettre au Père Noël…

Et voici la lettre de Pierre, qui, lorsqu’il deviendra grand, se fera bouffer tout cru à cause de son cœur grand comme un cosmos et de l’innocence qu’il portera en lui… Mais il est encore tout petit, Pierre, et il ne sait pas la dureté du monde, il ne sait pas l’innocence blessée car son papa et sa maman, son tonton et sa tati, et tous les bons voisins, et la maîtresse de la maternelle… sont très gentils avec lui.

« Quand tu descendras chez moi, cher papa Noël, j’aimerais que tu souffles dans mes souliers pour que ça me fasse bien chaud à mes petits petons jusque dans le cœur. Quand je serai grand, je veux avoir plein de bisous dans les mains, beaucoup de papas et de mamans, tout plein de frères et de sœurs. J’écrirai des livres et je chanterai des chansons pour tous les malheureux de tous les pays… Et même si tu ne m’écoutes pas, cher papa Noël, je te fais une grosse bise »…

Et voici la lettre de Jean, qui, lorsqu’il deviendra grand, saura nager, ne se fera pas bouffer tout cru, aura bien pigé la combine, gagnera les prix…

« Papa Noël, je veux une grande auto ilectric qui fait boum/boum/zing/crac, et un grand dada en peluche d’au moins 2 mètres de haut pour épater les copains. Quand je serai grand je veux avoir beaucoup d’argent et de copains. Je promènerai les filles dans une belle auto de course décapotable, j’irai en boîte tout l’été et tous les samedis. Je veux aussi être beau et fort comme un taureau, savoir jacter comme les vedettes de la Télé, et être un as de la drague, mettre plein d’olives dans le trou de bale des nanas. J’espère que tu vas m’écouter, papa Noël ! Aboule la grande auto ilectric et le dada en peluche de 2 mètres ! Sinon je te course, je te coince dans une ruelle sombre et je te fais une tête au carré ! »…

… Bien des années plus tard…

Jean, le « dur des durs » le nabab de la Cité, n’avait pas « réussi à l’école »… Mais il avait trouvé la bonne combine…

Oui, les filles, il en avait à gogo, même qu’il ne savait plus quoi en faire… L’auto ilectric était devenue un énorme module d’intervention aux commandes électroniques, qui coupait comme dans du beurre les foules de chômeurs en colère sur les places publiques.

Cela se termina en 2091 dans une maison de retraite médicalisée, un jour que le thermomètre, en plein mois d’Août, marquait 42 degrés à l’ombre sous le grand catalpa du jardin de la maison de retraite… Alors que dans les maisons du « Grand Voyage des Anciens », l’on y mourait en douceur par fournées incessantes d’aspirants au « suicide accompagné » dans des salles « funéro-vidéo-musicales »… Jean, de toute évidence « non aspirant au suicide » et bien installé dans une maison « pas comme les autres », mourut d’une crise cardiaque, par 42 degrés à l’ombre sous le catalpa, à l’âge de 101 ans…

Pierre, le poète au cœur tendre, qui n’avait cependant jamais gagné de prix parce qu’il eût fallu pour cela qu’il se conforme à bien de procédures et qu’il se dote d’indispensables outils de communication… avait lui, bien « réussi à l’école », était entré au CNRS, s’était marié par amour… Le souffle chaud dans les souliers s’était mué au fil des ans, en un vent d’enthousiasme s’engouffrant dans toutes les impasses de la vie mais se heurtant aux volets fermés et ne parvenant jamais à renverser les poubelles pleines vissées au trottoir… Cela se termina en 2048, un jour très sec et très froid de février, dans les douches d’un établissement pénitencier, au bout d’un drap tordu.

Pierre s’était pendu parce qu’il avait appris qu’il était cocu… Pourtant, il serait sorti le lendemain matin, ayant fini de purger sa peine… Pour un meurtre dont on l’avait accusé mais qu’il n’avait pas commis.

Juillet 2106… Lu dans le carnet t...