Mademoiselle l’institutrice aux jolies lunettes sortit de la chambre 17 de l’hôtel de la Poste, en cette fin d’après midi d’avril, et se dirigea vers la gare où l’attendait son ami…

Mademoiselle sans maquillage, mademoiselle bien imperdée aux jolies gambettes, mademoiselle l’intellectuelle aux sages folies, mademoiselle très gentille et très bien vue dans le voisinage… qui venait de passer un petit bout d’après midi derrière des volets clos…

Cette élégante et agréable silhouette féminine allait bientôt rejoindre une silhouette masculine qui, à l’heure présente se mouvait sur le quai d’une gare…

Le grand garçon efflanqué serré dans son long K-way bleu foncé, suffoquant de bonheur en descendant du wagon, dans un quart d’heure tout au plus, enlacerait, fou de bien être, son amie, aurait le goût de sa salive sur ses lèvres, s’enivrerait de l’odeur de sa peau sur sa nuque. Il sentirait tout son être, tout son grands corps à peine sorti de l’adolescence, parcouru de craquements ; puis elle l’embrasserait très doucement, il monterait dans la voiture, suivant d’un œil ravi le mouvement des jambes de la jeune femme, s’émerveillerait une fois de plus, de son accueil, de sa simplicité et de sa gentillesse… Enfin… Il y croirait vraiment !

Cette fille qu’il fréquentait depuis quelques mois, était sa foi, son bonheur tout neuf, sa certitude, sa joie de vivre, son espérance…

Aurait-il pu imaginer, ce jeune homme, ce qui venait de se passer, chambre 17 à l’hôtel de la Poste, ce jeudi après midi d’avril, les volets clos ?

Qui l’eût cru, d’ailleurs ?

Mademoiselle l’institutrice comme dans un livre de la collection Harlequin, mademoiselle chic et tendre comme un rêve bleu éclaboussé de soleil, qu’avait-elle fait, chambre 17 à l’hôtel de la Poste ? Un cri fou, un cri rauque, un cri brut et déchiré avait jailli de sa gorge. Le cri d’une jouissance démentielle sauvagement assouvie contre tout ce qui est trop sage dans une vie de jeune femme « bien rangée » ; contre cette insoutenable fragilité d’une existence en perpétuel ballottage… Et, de cette faim animale, vertigineuse, elle s’était profondément plue, éclatée, chavirée tout habillée sous le corps d’un gros gaillard, un rustaud de la dernière espèce qu’elle n’aimerait jamais d’amour, qui n’avait pas même ôté ses bottes, rotait et sentait mauvais…

Elle avait déversé dans les poils de cette bête humaine, toute sa délicatesse, tout son chic, toute sa fragilité… Et ses lèvres aussi tendres que des pétales de rose avaient d’abord effleuré, et ensuite embrassé, mordu, sucé l’énorme sexe de l’homme…

Les deux silhouettes, l’une féminine et l’autre masculine, dans le hall de la gare, se rapprochèrent et se fondirent en une seule silhouette…

Le rêve lui, ce rêve fou, ce rêve absolu, ce rêve qui exclue tout ce qui pourrait le salir ou le faire disparaître, durerait toujours : le jeune homme s’était déjà bardé de toutes les certitudes confortables et sécurisantes de son rêve…

Le rêve fou, le rêve sur disque dur, le rêve raide, le rêve contre ce qui se doit et se fait, le rêve sacrilège, le rêve qui donne le vertige, le rêve qui nous arrache des râles, le rêve absurde, le rêve bleu avec des taches rouges, le rêve qui déconcerte, le rêve fracture ouverte de nos raisons blessées, le rêve « vérité historique » de notre moi profond, le rêve « contre vérité » de nos vérités en béton armé, le rêve que nos mensonges au grand jour ne peuvent éteindre… C’est de ce rêve là que nous rêvons les yeux ouverts, et c’est à cause de ce rêve là que nous tachons nos draps, la nuit, que nous faisons tous ces choix irréfléchis… Des choix qui n’en sont presque plus tant ils nous ont été imposés… Comme pour se moquer de notre âme bleue…