L’écrivain, l’artiste, le cinéaste, le musicien ou le chanteur, même s’il n’est guère très connu, est dans une certaine mesure, vénéré par ses concitoyens, en particulier par les personnes de l’autre sexe… C’est fou ce que l’écriture par exemple, génère d’ « aura », d’écoute et de considération. C’est fou ce que l’écriture, même, absout… jusqu’à l’exécrabilité de l’être.

Plus encore que l’acteur, le chanteur ou le réalisateur de films, l’auteur, celui qui publie des livres, a sa cour. Les salons et les manifestations littéraires qui foisonnent un peu partout, en France peut-être plus qu’ailleurs dans le monde, témoignent de cet esprit de chapelle où l’on entoure l’auteur adulé… A condition toutefois que ce dernier ait pu faire lire son livre…

Mais cet auteur, avant de débarquer au « pays des auteurs », comme dans un port d’Amérique avec sa petite valise en carton à la descente du bateau, a sans doute été ce semeur de messages dans des bouteilles à la mer que personne ne ramassait… En ce temps là, ses « petits papiers » écrits au crayon, jetés sur les tables des conférences ou dans les halls de manifestations culturelles, n’avaient ni lecteurs ni admirateurs.

Au delà de tous ces auteurs qui n’ont encore jamais débarqué au « pays des auteurs », combien d’enfants, de vagabonds, d’infirmes, d’ agonisants, de déracinés, d’ exclus et de marginaux ; combien d’humbles et anonymes employés de bureau, ouvriers d’usine, « piliers de bistrot », et autres personnes représentatives de tous les milieux sociaux, n’ont que cette langue du cœur et des tripes, cette langue de tous les jours, et ces images, ces scénarios, ces rêves et ces idées qui tournent dans leur tête, se vident autour d’une table… Ceux là ne font ni livres ni chansons ni films ni pièces de théâtre. Ils sont tout simplement, mais avec combien de candeur ou de truculence, les innombrables acteurs de la grande scène du monde ! A dire vrai, le poids de ce qu’ils expriment vaut bien le poids de tous les livres du monde.

L’« aura », les filles, les cocktails littéraires, les coupures de journaux, les critiques élogieuses ou acerbes participent à cette interminable marche qui traverse les siècles et les civilisations sans jamais changer de spectateurs. De l’autre côté des filles, de l’ « aura » et des cocktails, dans l’ombre du rideau, dans la lumière des projecteurs, les visages caramélisés sont bien plus amoureux des modes et des images que de la pensée ou du message…

L’auteur, le cinéaste, le chanteur, le poète, l’artiste, comme tous ses congénères, quand il engloutit des petits fours, fume des cigarettes, vide les verres à pied, parfume la salle de son haleine…

Que reste-t-il alors du message, si émouvant certes, le temps de son impact, puisque personne n’en est vraiment amoureux au point de ne donner à celui qui le porte, que la modeste place qui est la sienne dans l’univers ? Le succès, toujours provisoire, dans la clarté des projecteurs, sous les spots publicitaires, est assimilé à une voie royale représentative d’un système de valeurs pour des admirateurs figés dans l’inconsistance de leurs émois et de leurs espérances qui souhaitent de toute évidence monter à leur tour sur le plateau.

Les bandes bleues ou rouges autour des livres ne relient jamais les gens entre eux. Seul, le message, bien plus fort que la beauté des mots ou des images, est le vrai lien…