Fin octobre et sa pluie de feuilles mortes sur la maison de retraite…

Désastre de gâteau à la crème effondré sur une assiette à dessert après le repas de midi…

Fauteuils roulants repliés et rangés dans le fond du réfectoire, contre le mur du couloir…

Filles de salle en tablier rayé épongeant les tables, balayant les reliefs d’un repas dominical…

Somnolence bruyante de ronflements et de sifflements de poitrines, affaissements de silhouettes décharnées ou débordantes de rondeurs, dans le grand salon tout inondé de soleil d’automne…

Dehors, près de la grande porte vitrée dont les battants se referment toujours si lourdement, un petit pépère sec et tremblotant fume sa cigarette à la sauvette, pressant le bout jauni entre deux doigts aux ongles noirs…

Un immense après midi d’automne, tout doré de soleil déclinant, s’étire jusqu’à la cloche du soir dont le son rappelle celui qui annonce l’arrivée du train en gare…

Des dames et demoiselles, filles ou petites filles des pensionnaires, parce que c’est dimanche après midi, vont venir, puis repartir, les unes très bien habillées, en tailleur ou robe chic, offrant leur bras au vieux papa agité d’une frénétique danse de Saint Guy ; les autres en tenue plus sportive car, si l’on est venu ce dimanche, c’est aussi pour aller se promener avant de dire bonjour à la mémé.

Les feuilles qui tombent avant d’être complètement jaunies ont parfois une odeur délicate et quand elles frissonnent très doucement sur le sol dans la lumière presque tamisée d’un très bel après midi automnal ; l’élégance de certaines silhouettes, les sourires sur les visages, esquissent un décor de dernier acte, tels des traits d’aquarelle sur une toile palpitante de personnages fragiles et tremblants d’émotion. Mille petites anecdotes d’une vie quotidienne, avec le cortège de préoccupations aussi personnelles que diverses, ont ainsi, quelques heures durant, rejoint des souvenirs anciens, des visages disparus, des attentes renouvelées, de petits et gros bobos dans le cœur et dans le corps… De nouvelles années aux couleurs d’octobre, puis de novembre, vont bientôt s’ajouter aux printemps et aux étés fleuris de ces belles visiteuses de dimanche après midi, alors que le givre de décembre et la glace de janvier auront depuis longtemps déjà, brûlé de noir les fleurs de la Toussaint jetées dans le pourrissoir du cimetière communal.

Imparable vieillesse, pourrais-tu m’épargner le désastre du fond de gâteau à la crème coulant sur le bord de l’assiette et salissant la nappe de papier ?

La terrible souffrance d’un soubresaut d’émerveillement cruellement empêché par le frottement d’une culotte mouillée ?

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