Je pense que les "littéraires purs" (et durs) c'est à dire les gens "vraiment de lettres", de métier, de formation universitaire, d'expérience et de parcours personnel "solide"... Ne pourront jamais (et je les comprends) concevoir qu'un écrivain au sens de ce qu'ils entendent par écrivain, puisse apparaître dans leurs catalogues si la production de cet écrivain demeure un "hétéroclite fatras" de textes qui seraient cependant pour quelques uns d'entre eux, des textes littéraires, mais aussi et pour bon nombre d'autres textes, des textes de forme langagière et imagée sur un mode du genre "au coeur du réacteur"...

Il y a là, je pense, une véritable interrogation qui s'impose, dans la mesure où serait en jeu, l'avenir (ou déjà le futur immédiat) de la littérature...

Le "coeur du réacteur" – soit dit en passant je bannis de mon vocabulaire personnel l'expression "du fond de ses tripes" – c'est à dire l'émotion, l'émotion dirais-je "portée à incandescence"... Le "coeur du réacteur" à lui seul et surtout lorsqu'il apparaît démesuré et qu'il travestit la réalité des êtres, des situations et des évènements ; ne peut constituer l'essentiel du travail d'écriture...

Un compromis si je puis dire, entre d'une part ce travail d'écriture selon les codes et les valeurs auxquels se réfèrent les "littéraires purs", et d'autre part ces formes langagières et imagées où domine l'émotion... Me semble difficile, et incertain quant à la dimension qu'il peut prendre...

À dire vrai, l'on ne peut pas parler ici en terme de "compromis"... Peut-être de "symbiose" (je dis bien "peut-être")... Dans la mesure où se réaliserait "une alliance heureuse" entre le "coeur du réacteur" se manifestant et rayonnant autour de lui, et un réel travail d'écriture ...

L'on ne peut pas non plus parler ici en terme d' "équilibre à réaliser" (à mon sens cet équilibre là est quasiment impossible à trouver, à moins de "faire dans l'imposture")...

Demeure sans doute, telle une porte ouverte ou un chemin à prendre, la possibilité d'une symbiose à réaliser, ou si l'on veut... D'une sorte de "quatrième dimension" à trouver...

Mais je conçois que, pour un "littéraire pur", le "paysage littéraire" soit vu et reconnu comme un paysage dont la géographie peut évoluer mais dont la géologie profonde demeure immuable...

... En ce qui me concerne, je reconnais avoir eu ma vie durant, "un réel problème" avec les "littéraires purs", et d'une manière générale avec les gens "de formation et d'expérience et au sens critique très développé" (trop développé à vrai dire)... À tel point que dans les situations ou les confrontations les plus "sensibles", j'ai du à un certain moment, faire silence et comme on dit "passer mon chemin" afin de ne ne point "m'embarquer" dans quelque épuisante (et vaine) polémique...

Je ne peux pas dire, si je tente de "faire un bilan général"... que ces gens là, que j'évoque plus haut, m'aient "apporté quelque chose", sinon de douter de moi, et de me faire même reculer au lieu d'avancer...

... Il existe je pense, tout de même, d'une part "un monde conformiste de la littérature", et d'autre part "un mode informel de la littérature... Mais ce n'est là, je crois aussi, qu'un "shéma plus ou moins directeur, subjectif, plus ou moins admis, et assez général"... En fait c'est "plus compliqué" ou "plus "simple encore", que ce que l'on croit (cela dépend de la vision que l'on a, ou du regard que l'on porte)...

Dans mon esprit un "littéraire pur" c'est plutôt quelqu'un qui apparaît sur la scène publique tel un "régisseur du son" ; mais en même temps quelqu'un qui se réfère à des valeurs de son époque, tout en considérant aussi (mais pas toujours) les valeurs d'une autre époque...

Le sens critique sur quel support littéraire ? Je pense qu'il s'exerce sur la quasi totalité des styles, des genres, des formes, des supports... Et qu'il est souvent (à mon avis) trop exacerbé et surtout trop asservi aux modes et aux repères (ou à l'absence de repères) d'une époque (par exemple l'époque immédiatement actuelle)...

... Sur "la géologie profonde d'un paysage" (telle est la métaphore si je puis dire, que j'utilise dans mon propos ci dessus)... Je pense que "les uns" ET "les autres" (vous voyez lesquels de ces "uns" et de ces "autres" je veux dire)... Devraient s'entendre sur la même évidence, soit sur la nature même de l'assise réelle d'un paysage... D'un "paysage littéraire" en l'occurrence...

Rabelais en son temps, Voltaire et Diderot au 18 ème siècle, puis Balzac et Zola au 19 ème, et Céline, Proust, Aragon, Queneau, Malraux au 20ème... sont, oui, incontestablement et en quelque sorte d'une manière intemporelle, de ces paysages à la géologie profonde...

Par contre, en ce qui concerne Lévy et Musso (pardon pour ceux et celles d'entre vous à qui il arrive de lire ces auteurs)... Nous avons sous les tonnelles ombragées et accueillantes où l'on rit et pleure dans ces jardins enchanteurs... du vide !

... Pour finir, juste un tout petit détail (qui selon moi n'est pas anodin) : combien et combien d'écrivains (et en particulier les romanciers) d'hier et d'aujourd'hui... emploient sans cesse des "fit-il", "déclara-t-il", "dit-il" (ou de ces formules "passe partout") ?

Aujourd'hui par exemple, le "grand chic" c'est d'user de "me semble-t-il"...

... Excusez moi, mais ce "fit-il" en particulier, et ce "me semble-t-il"... "ça me sort par les trous du nez et me met la glotte de travers en éternuant"...

Je ne dis pas que moi aussi je n'ai point mes "scies"... Mais il en est de ces "scies" dont le bruit est aussi sciant que le bruit d'une tondeuse à gazon un samedi après midi dans un grand ensemble pavillonnaire...

... Voilà (tout ce que je viens de dire) pour l'écriture...

Et maintenant élargissons le sujet (ou l' "affaire") pour "tout le reste" : la musique, la peinture, la sculpture, les productions cinématographiques (courts et longs métrages, documentaires)...

Aujourd'hui nous avons une quantité de gens dans chacun de ces domaines artistiques, qui ont tous eu quelque formation, sortent même de grandes écoles, et ont réellement produit des oeuvres dont on ne peut nier le travail effectué, ou la qualité... Mais qui n'émergent pas, ou ne rayonnent pas davantage du fait de la prolixité et de la diversité des réalisations, des genres, des styles, des formes, etc...

Tout cela participe à un mouvement général, planétaire, dans lequel "s'engouffre" la marchandisation, la médiatisation, la publicité... Ce qui n'avait pas été le cas en d'autres époques et même jusqu'au milieu du 20 ème siècle.

Ces jours ci j'assiste au Festival du Court Métrage à Contis Plage (qui a lieu tous les ans) et je suis étonné par la banalité des thèmes ou des scénarios de certains de ces courts métrages... Et je me dis "mais pourtant il a bien fallu que ces films là soient, au départ, sélectionnés pour figurer dans les programmes" ! Et je me suis dit aussi, poursuivant ma réflexion : " le résumé n'est qu'une apparence, il faut voir l'interprétation"... C'est à dire la manière dont est traité le sujet, les prises de vue, les dialogues, les scènes...

Nous sommes aujourd'hui dans un paradoxe pour le moins surprenant voire surréaliste (mais c'est une réalité) : il n'y a jamais eu autant de "géologie profonde" des paysages, de tous les paysages, du fait de la prolixité des oeuvres et des auteurs, du nombre de gens "dignes d'être découverts ou lus ou connus"... Et en même temps il n'y a jamais eu autant de médiocrité culturelle et de banalité en ce monde, du moins à ce point généralisé et même organisé !

Tout cela constitue un "bien étrange terreau"...

D'un côté cela est "loin de me désespérer" (en dépit de tout ce que je déplore et qui me révolte)... Mais d'un autre côté me vient "toute une interrogation aussi grave que diverse... du fait que chaque question que je me pose en appelle souvent pour ne pas dire presque tout le temps, une autre"...