Dans "les LETTRES PERSANES" de Montesquieu, voici un propos de Rica écrivant à Usbeck. ( Lettre LVIII, page 109 de l'édition Garnier-Flammarion1980) :

" Chez nous, les caractères sont tous uniformes, parce qu'ils sont forcés : on ne voit point les gens tels qu'ils sont, mais tel qu'on les oblige d'être. Dans cette servitude du cœur et de l'esprit, on n'entend parler que la crainte, qui n'a qu'un langage, et non pas la nature, qui s'exprime si différemment, et qui paraît sous tant de formes."

... Il y a dans ce propos même, quelque chose d'absolument actuel... qui était déjà caractéristique du monde développé (et occidental c'est à dire Européen et en particulier Français et Anglais ... et des cours princières et milieux très embourgeoisés de l'époque de Montesquieu au 18 ème siècle)... Et qui l'est -encore plus peut-être- de nos jours (alors que cependant règne une grande liberté d'expression du moins dans nos sociétés développées et occidentalisées)...

Il faut croire que la liberté d'expression dont les gens aujourd'hui jouissent, et que nos sociétés avec ses nouvelles modes de pensée et ses marginalités affichées encouragent et mettent en avant... Ne rend en aucune façon les gens "plus vrais", plus naturels, plus spontanés, plus sincères, plus "du coeur de leur réacteur", et beaucoup moins uniformes dans leurs "pourtant différentes" formes d'expression...

De toute manière, je pense que la liberté d'expression dont nos sociétés évoluées (et modernes) se targuent, est un leurre... et que dans la réalité, dès lors que tu "y vas un peu fort du coeur de ton réacteur" c'est là que ça se complique, qu'on "te rentre dedans" ou qu'on te prie de te taire...

Par bonheur, un certain nombre d'artistes, d'écrivains et d'intellectuels résistent... à leur manière... Et même dans les cités dites "sensibles", même chez les exclus, les déshérités, les jeunes et moins jeunes ayant eu un cursus scolaire ou universitaire quasi inexistant !

Comme quoi il existe bel et bien à tous les niveaux de la société, depuis le "haut très haut" jusqu'au "bas le plus bas"... Une "culture du coeur et de la sensibilité", une "culture intérieure en soi"...

Et inversement, la médiocrité, l'uniformité, se retrouvent aussi au plus haut et au plus bas...

Or, cette médiocrité et cette uniformité dans les caractères et dans ce que les gens laissent apparaître lorsqu'ils s'expriment et agissent, lorsqu'elle est aussi évidente et généralisée et affichée au "plus haut" c'est à dire dans les "hautes sphères" même des milieux politiques et intellectuels ; et que des gens investis d'autorité, de pouvoir et de décision, que nous avons élus par les urnes, se comportent, parlent, agissent tout comme le plus vulgaire du "commun des mortels", d'une manière insolente et péremptoire, sans vergogne et comme "si cela coulait de source" de s'exprimer ainsi et d'agir ainsi... Alors cela devient assez désespérant et l'on en arrive à ne plus accorder aucun crédit à ces gens là, et à ne plus rien respecter non plus, soi-même...

Au 18 ème siècle sous les perruques et les fards, sous les beaux habits de confection si élaborée et si enjolivée de volants, de cols, faux cols, dorures et ceintures et galons et épaulettes... Cela sentait l'hypocrisie, le sexe, l'arrogance, la consensualité... le tout avec du beau langage...

De nos jours, le beau langage a tombé le caleçon, les costards sont tous les mêmes, nos dames se mettent plus souvent en magnifiques ensembles pantalonnants qu'en robes chic, et dans les cocktails dînatoires de direction d'entreprises (surtout financières et de banque) c'est à qui se presse, au risque de jouer du coude ou de l'épaule ou du derrière, autour de la table présidiale et du cartel des directeurs et managers...

... Et la nature, qui s'exprime si différemment et qui paraît sous tant de formes, et qui est celle du plus profond et du plus intime et du plus vrai des êtres ; semble proscrite ou d'un ton qui dérange... Autant en haut qu'en bas...

Au risque de déplaire à 99 % de gens ou d'en laisser indifférents 99 %... Ne plus être dans cette servitude du coeur et de l'esprit qui engendre la crainte et produit le même langage – et ne "garantit" rien... Et se laisser être tel que l'on est... C'est offrir à 1 % de gens, peut-être, ce qu'ils espèrent voir entrer dans leur vie auprès d'eux et avec eux...

Mais c'est vrai que la servitude du coeur et de l'esprit est une "prison confortable", si confortable même, qu'elle nous paraît sans murs et sans barreaux et tel un appartement ou une maison de grand standing avec en plus, jardin d'agrément et balcon avec vue sur la mer...