... Il serre entre ses doigts la petite silhouette aux os qui craquotent. Mais la silhouette ne se rompt point, son battement de coeur d'oiseau emplit le géant... Et le géant rit et pleure.

Il n' y a plus cette fragilité de l'être dans la petite silhouette... Rien qu'une grande force toute droite, souveraine, inépuisable... Que l'enfant géant vient de soulever entre ses doigts.

Lorsque transparaît la fragilité de l'être dans sa voix, dans son regard, dans son visage, dans ses gestes maladroits et dans ses hésitations... Le “Kador”, cette espèce d'humain qui court les rues, les publics, les marchés et toutes les petites affaires selon les arrangements ou les plaisirs qu'il cherche... Se pourlèche, ses flancs vibrent de la faim qu'il sent en lui, de cet être dont il va se régaler ou qu'il va écarteler ou salir de ses baves...

Mais il ne “sévit” point que des “Kadors” en ce monde... Il y a aussi ces enfants géants au souffle d'amoureux, conscients ou non de ces étranges forces qui les habitent ; ces enfants géants qui d'une autre manière “sévissent” (mais ne sévissent qu'aux yeux des Kadors et des Hememènes)... Ces enfants géants vibrant de toute leur âme d'une faim différente de celle des Kadors, d'une faim qui ne “prédate” pas, d'une faim qui se soulève comme une respiration d'amoureux. Alors ce qui est ressenti, ce qui émeut à la vue de cet être fragile devenu soudain si proche, fait vibrer le grand corps du géant tout entier.

Et il n'ose, l'enfant géant, approcher et encore moins toucher ce qui l'émeut autant...

Il va donc la chérir, cette fragilité apparente de l'être, la chérir d'un amour de géant, chercher à la protéger de toutes ces lèvres brûlantes qui rôdent en pleine lumière ou dans les plis mouvants de l'ombre.

Nous avons tous, parfois, de ces fragilités qui sont comme de petites plaies ouvertes sur notre peau...

Les lèvres de l'enfant géant au grand souffle d'amoureux, ne sont jamais putrides, suceuses ou buveuses... Elles se posent doucement sur la plaie qu'elles cicatrisent.

Ainsi est la faim de l'enfant géant au souffle d'amoureux : une faim qu'il communique et partage de tout son être avec l'être dont la fragilité l'émeut...

... Les plus belles joies du monde sont celles qui nous viennent mouillées comme des oisillons heureux d'être nés, alors même qu'elles demeurent par nature, dures et tendues comme des bouts de bois...