Cétait un train d' un seul wagon. Et dans ce wagon il était accroché et penché vers l'extérieur sur le bord de la fenêtre brisée d'un compartiment. À ses côtés se tenaient également trois autres personnes elles aussi accrochées à la fenêtre et en même temps, à ses épaules. Au dessous d'eux, une grappe de gens accrochés aux jambes de ces trois personnes et très curieusement le wagon n'avait pas de plancher. Vers le bas, du côté de l'intérieur du wagon, s'ouvrait un abîme incommensurable, tout noir, qui semblait ne pas avoir de fond, ni de limites. La grappe de gens accrochés, également, n'avait pas de fin, non plus. Sur le rebord de la fenêtre des morceaux de verre brisé, tranchants, aigus, de formes diverses, s'enfonçaient dans ses bras, lui déchirant la paume des mains. Les trois autres personnes à ses côtés avaient les mains déchirées et elles s'efforçaient désespérément de se hisser comme lui sur le bord de la fenêtre pour se pencher vers l'extérieur.

Mais il était difficile, sinon impossible, d'envisager de sauter par la fenêtre. Car le wagon sans fond, vu depuis l'extérieur, semblait suspendu, en équilibre instable, ne tenant que sur un rail à peine posé sur un socle d'éclats de roches et en contre bas, à environ un mètre du rail, s'ouvrait un ravin ou plutôt un gouffre dont la pente abrupte, caillouteuse, était par endroits recouverte de buissons épineux, de ronces, de petits arbustes desséchés et tordus. Il ne pouvait pas voir depuis le bord de la fenêtre, le fond du ravin. Sur les éclats de roches et les pierres acérées qui constituaient une bordure étroite le long du rail ainsi que des éboulements vers le ravin, il remarqua une substance visqueuse, glissante, comme un verglas épais. Et ce verglas était lui-même criblé de tessons de bouteille, d'éclats métalliques tranchants et lumineux.

Il sentait bien qu' en dessous de lui dans la grappe des personnes agglutinées, quelques unes de ces personnes faisaient des efforts désespérés pour s'accrocher et grimper les unes sur les autres afin de parvenir toujours un peu plus haut vers le rebord de la fenêtre. Mais ces personnes ne savaient pas ce qu'il y avait dehors.

Que faire ? Sauter, rouler en boule sur les éclats de roche hérissés de morceaux de verre, puis, inévitablement, tomber dans le ravin ? Ou se maintenir, de plus en plus en plus déchiré, perdant du sang, sur le rebord ? Et pour finir, lâcher prise, entraîner dans une chute sans fin, tous ces gens, vers un abîme incommensurable ? À son avis, s'il devait y avoir un " fond " quelque part, ce ne pouvait être que du côté du ravin...

La grappe des personnes agglutinées faisant chacune d'entre elles des efforts désespérés pour grimper par dessus toutes celles qui précédaient et ainsi se hisser peu à peu plus près du rebord de la fenêtre... Était interminable à ses yeux et représentait un poids énorme à soutenir et à entraîner... Il réalisa que pour passer d'un abîme à l'autre, soit de celui s'ouvrant à l'intérieur du wagon et qui n'avait pas de fin, à celui s'ouvrant à l'extérieur et qui avait peut-être un « fond »... il aurait fallu que le rebord déchiqueté et tranchant de la fenêtre s'abaisse au moment du passage, de l'interminable passage de la grappe des personnes accrochées les unes aux autres...

La seule alternative qui s'offrait à lui, dans une logique aussi évidente que froide, était de se couper brutalement de la grappe des personnes agglutinées, et de sauter, lui et les trois autres personnes l'accompagnant, délivrés du poids énorme de la grappe... Mais il y avait encore, avant la chute le long de la pente abrupte du ravin, cette bordure étroite et hérissée d'éclats tranchants, le long du rail paraissant suspendu... Et qu'en était-il en vérité, du « fond » de l'abîme s'ouvrant à l'extérieur?