Big Brother and Cie...

... De Carla, sur le forum de Nota Bene http://notabene.forumactif.com/ à la suite de “LIBERTE ENCADREE,FICHEE OU MUSELEE” :

J'ai recemment entendu parler d'une émission de radio sur une radio essentiellement écoutée par une population plutôt jeune - et, du coup je l'ai écoutée pour savoir si c'était aussi horrible que ce qu'on m'en avait dit - et c'était malheureusement le cas.

Il s'agit d'une émission où les animateurs proposent de vérifier en direct la sincérité des sentiments éprouvés par M. X ou Mle Y, quand Mle X ou M. Y ont des doutes. Pour être plus claire : "bonjour je m'appelle Samantha je sors avec Kevin depuis trois mois mais depuis qq jours il reçoit pleins de SMS et il ne veut pas me dire qui c'est, et il coupe son téléphone dès que celui-ci sonne, je voudrais pouvoir vérifier si il est vraiment sincère et qu'il n'aime que moi."

"Pas de problème (animateur de ladite radio), on va appeler Kévin, et se faire passer pour un fleuriste en lui faisant croire qu'il a gagné un bouquet de rose à envoyer à la personne de son choix. Tu es d'accord ? Si oui, tu dois dire clairement à l'antenne "moi, Samantha, je suis d'accord pour que la radio X appelle Kévin pour savoir s'il me trompe" (vous noterez l'hypocrisie de la prise de précaution de la radio, Ponce Pilate n'aurait pas fait mieux)."

"Moi, Samantha, etc, etc."

"Allo, ici le fleuriste RosesAtout'heure, je vous appelle..."

Bon, pas la peine de vous faire un dessin : Kevin était un peu surpris mais enchanté finalement, et a décidé d'accompagner le bouquet d'un petit mot "Pour mon bébé d'amour, Jessica".

Et Samantha qui se prend un rateau en pleine poire en "direct live" à l'antenne.

L'emission se poursuivait avec un nouvel appel à Kevin, pour le mettre en face de sa traîtrise ! Je ne sais pas comment ça s'est passé, j'étais tellement écoeurée que j'ai zappé.

Bref : liberté encadrée, fichée ou muselée : la question est dépassée.

Aujourd'hui Big Brother ce n'est plus une émanation d'un quelconque pouvoir (dictature, théocratie...) : ce sont les gens eux-mêmes, qui s'en vont gaiement surveiller leur petit(e) ami(e) au mépris de tout respect d'autrui, qui s'en vont joyeusement s'inscrire sur Facebook pour draguer ou surveiller les amis de leurs amis, qui s'en vont gentillement draguer sur Meetic en photoshopant leur photo afin de paraître 10 ans de moins, ce qui donnera à leur conjoint l'occasion de poser la question sur le forum "comment ça marche.com" : "qui pourrait m'aider à cracker les mots de passe de mon ami(e) ?"

J'en ai assez – à dire vrai c'est plus qu'un coup de poing sur la table mais une rage à déchirer et à piétiner ces kilomètres de pages sur le web où l'on expose sa vie privée, ses petits problèmes de merde genre coucheries avec l'un ou l'autre – oui j'en assez de cette inculture, de cette vulgarité, de cette médiocrité et de cette banalité ambiantes ; entretenues par les médias, chauffées à blanc par toutes sortes d'effets spéciaux, de prouesses technologiques en matière de mise en scène et de communication... J'en ai assez de ce qu'on fait de la liberté d'expression, de la manière dont on la traite pour affirmer qu'elle existe.

J'en ai assez de ce “Big Brother” désormais à la portée de tout un chacun, et qui permet de savoir si l'on est aimé ou pas, ce que l'autre pense, où et avec qui il va, ce qu'il fait, ce qu'il raconte...

Nous vivons – et cela s'accentue, s'infiltre, se répand, se généralise, s'officialise même – des temps de misère, de vraie misère, d'endémique misère : misère physique, misère intellectuelle, misère dans le travail, misère dans sa vie...

Est-ce possible une telle misère alors même qu'en dépit des restrictions budgétaires, de choix économiques et politiques aussi désastreux pour la culture, parviennent à se maintenir autant de petits théâtres, de petites scènes, de petits festivals ; arrivent à exister des artistes, des poètes, des gens, des groupes engagés, créatifs et motivés ?

L'on sent bien qu'il y a, en face de cette immense médiocrité générale, en face du pouvoir des gens qui nous dirigent, de la financiarisation et de la pression des médias, oui l'on sent bien qu'il y a en face de tout cela... comme de petites lumières rouges de ci de là sur une nappe de cendres et de scories...

Il y a bien là un vrai paradoxe entre d'une part l'immensité de l'inculture et d'autre part la force de ce qui tente d'exister contre l'inculture... Et le même paradoxe entre d'une part tout ce dont les gens peuvent profiter en matière de communication, d'information et de connaissances – et qui n'existait pas autrefois – et d'autre part tout ce qui isole et oppose les gens, tout ce qui produit obscurantisme, superstition, banalité, vulgarité – et qui ne devrait plus exister dans un monde aussi évolué scientifiquement, aussi différent de ce qu'il était avant -

Pourquoi les gens, et surtout les jeunes en particulier, sont-ils aujourd'hui “bardés de diplômes” et surinformés, et peuvent-ils avoir une si mauvaise expression écrite ou même parlée?

... “Big Brother” c'est peut-être pire qu'un flic idiot à la gâchette facile. J'appelle ça un “immense camp de concentration intellectuel” où pour pisser t'es obligé de montrer ta queue à la caméra, où pour penser t'es obligé d'aller dans la baraque à penser, et où tu peux si tu veux quand tu veux, filmer le pet que tu fais pour le mettre sur internet, et crocheter dans la vie intime de ton copain ou de n'importe qui...

...“Big Brother” c'est aussi terrible que l'Inquisition, les Chrétiens, les Juifs et les Musulmans intégristes, les Khmers rouges, le Stalinisme, le Sionisme, le Capitalisme mondialisé, tous les flics et toutes les armées du monde, toutes les prisons et toutes les certitudes et béatitudes castratrices...

... Chez Big Brother, c'est vrai qu'il n'y a pas de vrais/vrais bûchers au sens de corps qui flambent sur des fagots, qu'il n' y a pas non plus des milliers de morts et de blessés comme dans les guerres avec des bombes et des mitrailleuses, qu'il n' y a pas de goulags ni de Guantanamo... Mais c'est “tout comme” d'une autre manière, d'une autre manière qui nous assassine à petit feu, nous pousse au suicide, nous fait crever de toutes sortes de maladies...

... Facebook (que je surnomme pour rire “face de bouc – et de boucque -” )... Devrait-être, conçu comme il l'a été, un “bon outil” de communication et un lien social, un lien entre les personnes, une possibilité pour les gens de “s'exister” et “d'exister” les autres... Mais on en fait une “machine d'inquisition”, une “usine” à produire des kilomètres de conneries insipides, de pets feu-d'artificiques ou incendiaires, une “boîte à drague”, un “lupanar” pseudo intellectuel, un kaléidoscope de fantasmes... C'est le sommet de l'hypocrisie, du chantage affectif et de l'égocentrisme, de l'”ennemour” à la puissance mille... Le “caviar” des “en manque”, des “givrés”, des “trouduks déguisés en génies”... Et dire que “'tout le monde y est”, sur Facebook : le citoyen lambda comme le présentateur télé, le président de la république ou même l'académicien!

... Les vrais forums littéraires semblent avoir passé leur “temps de gloire”, ce temps où les uns et les autres, animés de quelque esprit créatif, s'exprimaient et ouvraient des fils de discussion qui parfois duraient des semaines... Mais ces forums se “vident” peu à peu et ne sont plus visités que dans la mesure où ils offrent à leurs inscrits des services qui leur conviennent tout à fait personnellement, entre autres la possibilité de publier en ligne le bouquin qu'ils ont écrit... Et puis basta! Fini les échanges et les fils de discussion ou d'informations partagées! Désormais on fait des sites et des blogs, on fait son “univers personnel” et adieu les fils animés et intéressants!

Mais les sites et les blogs sont bien souvent des “annexes” satellisées autour de Facebook, la planète-soleil central qui illumine le Net. Et tapidansent à l'infini des récits plus ou moins intimes, truffés de sexe et sentant le foutre, des imprécations mille fois martelées sur son enclume, des textes où les mots les plus simples même sont orthographiés autrement qu'ils ne se prononcent, où pullulent les participés passés en “er” et autres laideurs, où tout comme dans le langage parlé on “bouffe” les syllabes, écorche les mots...

Et avec la folie des innovations de photoshop, la téléphonite à oreillettes où l'on reçoit à la seconde même les derniers potions de l'actualité des copains et des coquins et tous les “X” et tous les “boum/boum musicaux” et tous les clips à la mode et tous ces jeux à la con... Cela ne s'arrange pas dans le sens de la culture!

Quelle époque! Quelle époque, ça me pète l'âme! Et pourtant je continue à “y croire” !

... Ah, j'oubliais : il y a encore la voyance... Madame Sonia qui voit tout/sait tout et conseille utile, Psynocchio le faiseur de gagnants et le raccordeur d'âmes brisées!