En chic froissé, ta coiffure défaite, ton écharpe dénouée, l'un de tes hauts talons éculé, tu me faisais des idées chic et crasse : j'étais avec toi derrière le rocher mais c'était “une belle crasse” qui me venait...

     “Dis, papa, qu'est-ce qu'elle fait la dadade?”

“ça mon fils, c'est pas du cinéma en vrai pour les mômes!”

“On dirait qu'elle se régale en se tortillant, la dadade!”

“Bah, il vaut mieux voir ça en vrai qu'au ciné : là au moins c'est la nature qui parle alors qu'au ciné c'est des crasses de salauds”...

Empalée du derrière sur un trognon de branche sorti à la bonne hauteur, du tronc de l'arbre ; la dadade avait l'air de trouver bon de se tortiller...

     Les beaux discours ne sont que des coquilles vides... Et rien ne vient au monde, d'une coquille vide...

     Elle ressemblait à un soleil refroidi qui, dans une région éloignée et inconnue de l'univers, ou dans une autre partie de notre univers proche, n'aurait peut-être pas perdu sa chaleur...

Et je la regardais, blonde et pâle, passant entre ces jours de saints de glace en mai, belle et mystérieuse en face de moi...

Dessinateur de visages – mais je ne le suis point – je l'aurais tracée tendre et sévère à la fois, avec des boules Quiès dans les oreilles...

... En souvenir de Josiane, du temps des réunions de conseillers financiers de la Poste à Saint Dié des Vosges

Gratte-cul

On l'appelle “gratte-cul”... Et depuis tant et tant d'années dans cette petite ville des Vosges, il tient boutique au point le plus “stratégique” de cette ville... Mais ne voit jamais entrer personne dans sa boutique... En fait, sa boutique, ou plutôt la porte vitrée de sa boutique derrière laquelle il est assis... ou debout, est pour lui comme un point d'observation, une “vue plongeante” sur cette bonne ville des Vosges...

Des gens de la ville racontent qu'à l'âge de trois ans il avait encore des couches, et que sa mère lui faisait faire le tour de la place, attaché comme un chien à une corde...

Un jeune homme “beloud” qu'il a été, disent-ils aussi, les gens, les gens de sa génération...

Alors les filles, c'était pas pour lui! Et pourtant il est riche! Il a hérité!

Riche mais seul, toujours habillé pareil... Une vie de riens, sans aucun “extra”...

Et quand il ne sera plus, la grand rue -et toute la ville – aura perdu l'un de ses orphelins... cousu d'or mais déconsidéré, englouti dans la “petite histoire” que les Historiens n'écrivent jamais – sauf peut-être les écrivains de terroir...

... “gratte-cul”... Mais il est musicien et homme de grande culture. Il ne parle à personne (en fait personne ou presque ne lui parle)...

Mais moi, le type du guichet de la poste de cette ville à l'époque, je lui parlais, et il me parlait...

[ A un ami Vosgien dont la vie en 2009 n'a guère changé...]

Les filles des années 70

Elles avaient toutes, vu “Le docteur Jivago”, visité la cathédrale de Strasbourg, elles étaient pour bon nombre d'entre elles, catholiques pratiquantes, souvent timides, aimant la lecture et le tricot, les promenades en forêt... Elles avaient toutes “une peur bleue du grand méchant loup”, elles préparaient un trousseau pour “quand elles se marieraient”, avaient un “coquet livret d'épargne” ; elles étaient “mademoiselle joliment arrangée dans un petit studio”, rêvaient d'une belle maison, d'un bon mari gagnant bien sa vie, voulaient des enfants, un grand chien ou peut-être même un cheval ; ne se rendaient jamais aux manifestations et ne faisaient pas grève, aspiraient à une meilleure promotion dans leur travail...

Et pourtant leurs tartinettes battaient comme des castagnettes sous de beaux rêves tendres si joliment guirlandés de petits dessous...

Quel crétin ce Jean-Charles! Lui qui rêvait – cet anarchiste et poète incurable qui ne possédait qu'un sac à dos et un vélo et qui n'habitait au jour le jour que dans des auberges de jeunesse – lui qui rêvait à s'en faire des cartes de France dans ses culottes – d'une fille “bien”... Il en avait trouvé une, chic et classe, gentille à en crever de régal, et pas emmerdante pour deux sous question principes, bondieuseries et autres “sens-du-monderies chocolat-glacetées à flanquer la colique trois jours après” ... Elle s'appelait Craqueline et elle était infirmière dans un hôpital de banlieue pourrie...

Le Jean-Charles, il avait été reçu dans la famille de Craqueline, et invité, et écouté car il était poète... Et la Craqueline avec sa frêle silhouette, son joli visage, ses fringues chic, sa petite voiture, et sa “vision du monde” si peu dérangeante, et sa gentillesse de fille simple... Elle “en pinçait” ma foi, pour le Jean-Charles!

Un jour elle l'avait accompagné jusque sur le quai du port d'embarquement : il se rendait en Angleterre par le ferry avec son vélo.

... Quel crétin ce Jean-Charles! Il ne lui a même pas envoyé une carte postale, depuis le fin fond des High-Lands ou de la verte Erin!

... Et quelques années plus tard lors d'un “coup de blues” un jour de pluie, claquemuré dans sa piaule et aux prises avec une solitude viscérale, il s'était décidé à lui écrire une lettre de dix pages, ayant retrouvé son adresse dans un vieux carnet... Une lettre qu'il soigna, qui fut presque un “monument littéraire”... Mais à laquelle il n'eut jamais de réponse...

[En souvenir de Jean-Charles, un copain anarchiste et poète, sac à dos et vélo, qui revenait de Grèce où il avait vendu son sang pour acheter à bouffer, et rencontré au centre de tri postal PLM à Paris... Il a fini par en trouver une, par annonce, dans une agence matrimoniale catholique et “bien pensante”. Il m'a invité un jour chez lui, présenté sa femme... qui effectivement, était “très chic, très simple, très gentille et pas emmerdante du tout, avec un joli visage... Et catholique pratiquante]