Le cinéma c'est ce qu'il y a de plus dur et de plus difficilement accessible, pour l'artiste qui veut s'y lancer (comme réalisateur et créateur). En plus de l'imagination, de la qualité d'écriture et de la pertinence, de l'originalité du scénario ; il faut de la technique, des moyens (et ça coûte cher)... Encore qu'aujourd'hui, avec les caméras numériques ça peut "revenir moins cher" et exiger moins de moyens" (en apparence)...

Dans l'écriture, c'est bête à dire, mais il n' y a que l'écriture (le talent d'écrire, avec l'imagination bien sûr)...

Par contre dans le cinéma " il y a plein de choses à maîtriser" : la prise de vue, le décor, les lieux, les personnages qui jouent un rôle, les dialogues et répliques, la musique, l'image, l'éclairage... Tout cela bien sûr s'articulant sur l'écriture du scénario, l'histoire...

Et c'est un sacré investissement! Il faut une vraie équipe (tout seul c'est pratiquement impossible - puisqu'il faut trouver des personnages qui "jouent", et des assistants techniques et autres) ; du matériel (qui coûte cher)...

Moi, personnellement, je trouve que les bons réalisateurs sont des gens vraiment doués et d'une dimension forcément plus "impressionnante" que la dimension d'un "bon auteur" dans le littéraire...

Oui c'est vrai : chacun son domaine dans lequel il excelle!... Mais plus il y a à maîtriser et plus c'est difficile!

... On va prendre un exemple : l'un de mes contes Yugcibiens "La révolte des Plouques"... (cela se passe dans un festival de spectacles et scènes de rue).

1ère condition : avoir déjà filmé avec une caméra numérique (et archivé le document dans quelque fichier vidéo) une foule de cent ou deux cents personnes lors d'un festival. En effet, si l'on n'a pas déjà en "toile de fond" archivée dans un fichier, ce film représentant la foule de visiteurs et de participants au festival, il ne reste plus qu'à "ameuter" des gens et à les réunir en tant que figurants et filmer la foule sur le vif. (Ce qui suppose déjà certains moyens : rechercher les gens, leur dire que c'est pour un film, les réunir, qu'ils acceptent de figurer... Et cela n'est pas évident à mettre en oeuvre!)

2ème condition : pour "faire coller" à l'histoire racontée, il faut nécessairement trouver des personnages pour une séquence, une scène en particulier, et ajuster le document de fond par "collage" (ce qui suppose de la technique) afin de créer un autre film "arrangé"...

Dans la seule écriture de l'histoire sur le papier, dans la seule réalisation en tant qu'auteur et écrivain, il suffit tout simplement de trouver les mots et les phrases afin de traduire le ressenti des personnages, de décrire... Et par les mots donc, par le langage, le ton, la phrase, d'imprégner le lecteur, de faire comprendre au lecteur ce que ressent le personnage et quelle est l'atmosphère, le sens profond de l'histoire...

Dans un film c'est autrement plus difficile : il faut que les personnages auxquels on demande de jouer le rôle ou l'action, puissent vraiment par leurs gestes, leur regard, les paroles qu'ils prononcent, le comportement qu'ils ont, leur visage ; traduire exactement la scène, contribuer au sens de l'histoire, exprimer ce ressenti là (qui est celui que veut mettre en évidence le réalisateur)... Et il y a encore une autre difficulté : celle de traduire par l'image, la scène, le rôle joué par le personnage, une dimension de pensée ou de réflexion (s'il y en a une)... Alors que dans la seule écriture on peut y arriver rien que par l'idée exprimée par une phrase, des mots, un texte...

... Confidence pour confidence et soit dit entre nous :

Par rapport à un réalisateur de talent et d'expérience (et dont l'oeuvre est originale, belle, émouvante, réaliste ou surréaliste, nouvelle et surprenante sur le plan de ce qu'elle apporte)... En tant qu'écrivain seulement écrivain, eh bien je me sens "un peu léger"!

Après avoir vu certains films dans ma vie, je comprends mieux pour quelles raisons, des réalisateurs ont pu écrire (en tant qu'écrivains en dehors de leur métier de scénariste) d'excellents livres...

Le cinéma (ou le théâtre) c'est une école de "très/très haut niveau! (Et en plus cela impacte plus de public que la littérature et les livres). D'ailleurs, le cinéma et le théâtre sont peut-être les meilleurs vecteurs de la littérature et de la poésie, et de la pensée...

D'un côté, avec l'écriture seule, c'est la "géométrie plane"; et de l'autre côté, avec le cinéma et le théâtre, c'est la "géométrie dans l'espace"...

Il fut un temps (des siècles et des millénaires à dire vrai)... Où il n'y avait pas de cinéma... Mais du théâtre cependant (par exemple les pièces de Shakespaere, de Molière... Et si l'on remonte à l'antiquité Romaine, Grecque, Egyptienne, Babylonienne... des pièces jouées dans des amphithéâtres ou sur des forums) ou encore, du théâtre de rue, des troupes de comédiens itinérants...)
Et très peu de livres, du moins pas de livres à profusion comme de nos jours...
Durant tous ces siècles et ces millénaires, la plupart des gens ne savaient ni lire ni écrire. Et pourtant dans les campagnes et les villes d'autrefois, il y avait des lieux où se réunissaient les gens, et les gens, du moins quelques uns d'entre eux étaient des conteurs, des "marchands de rêve"... Illettrés assez souvent, mais dotés d'une mémoire qui leur permettait de tout décrire, de tout détailler, d' exprimer ce qu'ils avaient vu et ressenti dans le réel comme dans l'imaginaire... Et ce qu'ils racontaient alors, en l'exprimant non seulement par les mots, le ton, mais aussi par leurs gestes, leur regard, l'expression de leur visage ; tout cela faisait que les gens en les écoutant, avaient l'impression qu'une vie, une sorte de pièce de théâtre se déroulait dans leur tête... Et l'on se rappelait de l'histoire, et l'on était capable de raconter de nouveau l'histoire à d'autres gens.
De nos jours nous sommes bardés de diplômes ou de formation universitaire, nous avons "tout vu/tout lu", « nous savons tout »... Nous regardons la Télé, nous naviguons sur le Net, nous consultons des encyclopédies, nous lisons des multitudes de revues d'actualité, de magazines et de journaux, nous voyons des dizaines de films... Mais nous sommes totalement incapables en dépit de notre culture et de nos formations universitaires, de "faire du cinéma dans la tête des gens" comme savaient en faire au moyen âge et en étant illettrés, de simples paysans, bergers, tisserands, savetiers, boutiquiers, charretiers... Qui, non seulement racontaient mais de surcroît étaient capables de transmettre une idée, une pensée, de suggérer une réflexion au travers de leur récit...
C'est peut-être parce qu'il "n'y avait rien" (ou pas grand'chose)... En ces temps là... Qu'il fallait "tout inventer"... Et qu'aujourd'hui, nous jouissons communément et comme si cela « tombait du ciel » de tout ce qui a été inventé et conçu pour notre confort... De telle sorte que "quelque chose dans notre tête s'est vidé de la substance qui existait avant"...

... Quand on a lu "l'insoutenable légèreté de l'être" sans savoir qu'il y a eu une adaptation au cinéma de cette oeuvre de Milan Kundera, on ne peut pas imaginer qu'il soit possible de porter à l'écran cette oeuvre littéraire...

Mais le jeudi 17 mars 1988, j'ai vu le film à Nancy, et j'avoue que j'ai été très ému, et que j'ai trouvé remarquable l'adaptation, même si le film est différent du livre (et pour cause!..)

Finalement c'est l'image, avec le mouvement, l'atmosphère, la profondeur, la poésie et la dimension de pensée... par l'écriture (et donc par les mots, les phrases, la littérature, le style, la manière de raconter, qui fait "le cinéma dans la tête du lecteur"... D'une autre manière que le film projeté sur l'écran.

En somme, l'écriture serait "une sorte de géométrie dans l'espace exprimée sur une surface plane...

Alors que le cinéma est "directement, obligatoirement et naturellement, de la géométrie dans l'espace"...

Alors, "faire de la géométrie dans l'espace sur un espace plan" c'est "très fort"!