Lorsque le ressenti pèse plus que la vision... Dans la mesure où le ressenti fait plus de mal que de bien et où la vision se déforme... S'ouvre alors une incertitude béante, immense et comme un voile sombre...

La vision était devant soi un champ élargi avec un grand chemin tout droit traversant le champ. Et le champ, le chemin, invitaient à la marche en avant, à l'aventure, à la découverte...

Le ressenti même s'il faisait plus de mal que de bien, ne pesait pas et ne déformait pas la vision. Le ressenti renforçait la vision.

Mais le ressenti de ce qui fait mal et que l'on n'accepte pas, exprimé vivement et venu comme un coup de couteau... Ou comme un appui sur le bouton qu'il ne faut pas ; vient buter sur un visage qui lui, a la vision, voit le chemin devant lui.

Appuyer sur le bouton qu'il ne faut pas, c'est comme si tout à coup, parce que surgit un voile sombre devant ses yeux, vient un désenchantement ou une suffocation ; l'on claquait la porte brutalement au monde... Et la vision que l'on avait se déforme, l'incertitude s'installe, le chemin s'efface, le ressenti cesse d'être exprimé... A trop buter sur ces visages qui sans doute ont un regard ou une vision et des émotions et même parfois se tournent vers nous, il se forme une fracture, une déchirure... Et la rupture avec ce que je définis comme la « consensualité du monde » devient inévitable, définitive et sans appel...

La plupart des écrivains que ce soit de nos jours ou d'une autre époque, et d'une manière générale, les auteurs, les artistes, les créateurs... A un certain moment de leur vie ou de leur « parcours », qu'ils aient du talent ou tout simplement que leurs oeuvres soient présentables, s'ils aspirent vraiment à être reconnus ou quelque peu médiatisés... Ne peuvent à mon sens, qu'entrer dans cette « consensualité du monde », c'est à dire en accepter les règles, les codes, les procédures : ils doivent donc se « civiliser » à la manière des chiens tenus en laisse qui, lorsqu'ils se rencontrent, « se transmettent leurs civilités respectives »...

Il n'est guère très difficile de reconnaître ces personnes de notre connaissance, parmi nos amis et nos proches, qui sont « dans la consensualité du monde ». Il suffit pour cela de presser du doigt avec une certaine détermination et un peu de provocation délibérée, deux ou trois « petits boutons » bien particuliers... De ces « petits boutons » précisément, qu'il « n'est pas de bon ton » ou « assez risqué » de presser... Et de constater, d'apprécier la réaction, la réponse, le comportement de l'autre, des autres...

Alors qu'adviendrait-il si d'aventure...

L'histoire des hommes foisonne à l'infini de ces situations aussi sensibles que dramatiques en fonction de l'actualité, des évènements et des propagandes... De ces situations révélatrices d'une « consensualité du monde » aussi laminante qu'un rouleau compresseur en marche...

Je pense que pour un écrivain ou un artiste, le fait de refuser d'entrer dans la « consensualité du monde » ; de cesser définitivement à un certain moment de son « parcours », de « s'exister » en face de gens qui ne « t'existeront jamais »... Equivaut à une forme de « suicide »... Un « suicide » délibéré et lucide, un « suicide » qui n'est pas « un geste pour prouver quelque chose » (Il n'y a rien à prouver)...

Cela n'a aucun sens, n'apporte rien, absolument rien ni à soi même ni aux autres, de continuer à se débattre, à s'agiter, à argumenter, à poétiser, à émotionner, à triller comme un oiseau ou comme un grillon... En face de cette « consensualité du monde » qui se présente sous la forme d'un visage caramélisé... Ou courroucé, ou indifférent...

Si je devais mourir demain, ce serait comme si ma mort était un appui sur le bouton de commande... Mais ce n'est pas le monde que je détruirais : c'est le « réacteur » par lequel je « m'existerais encore » en face de gens que je quitterais sans aucun regret, sans aucune nostalgie. Ces gens là je sais que je peux les quitter sans leur faire de mal...

Par contre, l'appui sur le bouton de commande c'est aussi l'adieu à ces visages qui m'aiment...

Alors j'irai quand même jusqu'au bout... Mais plus rien désormais ne fusera du « réacteur » dans ces « salles des machines » où tout est déjà « joué au quart de tour »...

Dans ce que j'appelle la « consensualité du monde », dans les rangs innombrables de tous ces gens qui « en sont » (implicitement ou parce que ça les arrange) je sais, oui je sais parce que je l'ai vu... Que certains de ces gens peuvent être des amis, des gens très intéressants et agréables même à fréquenter. Je peux dire que, de ces gens (que j'aime) il en est qui sont de ma famille et de mes proches.... Mais si je « vais jusqu'au bout », c'est pas pour eux. Je ne vais jusqu'au bout que pour un très petit nombre d'entre eux...

Sur le Net, je suis « virtuel » : je n'existe que sous un pseudo. Je ne suis donc que des mots, de l'écrit, et donc (peut-être)... De la littérature... De cette littérature par laquelle on peut tout dire, oser tout dire. L'écriture, la littérature, c'est peut-être aussi comme des radiotélescopes construits et installés sur des montagnes par des astronomes : les êtres d'ailleurs captent ou ne captent pas. Et s'ils captent ils peuvent aussi « zapper ».