Certains êtres de ce monde sont comme des géants qui n'ont jamais franchi la frontière de ces territoires d'enfance en eux...

Ils ont en eux cette bonté et cette humilité qui les dessert aux yeux du monde, mais qui les impulse tout en les rendant parfois secrets, voire distants...

Ils n'affectionnent pas les grandes réunions de personnes où il y a toujours sur le devant de la scène ces acteurs « privilégiés » que le monde honore, écoute et applaudit.

N'ayant pas été conviés à se manifester dans ces réunions, ils se sentent en « porte à faux » et ne peuvent que se tenir à l'écart, ou tout au moins, écouter ce qui se dit, participer à la discussion de la même manière que le ferait un observateur discret...

Les propos qu'ils ont jadis tenu en assemblée de personnes dans une situation particulière afin de défendre ou de soutenir une action, un projet, une idée... N'ont pas eu d'écho. Ou encore, le message qu'ils ont transmis à une personne de leur connaissance à la suite d'un événement touchant cette personne, n'a jamais eu de réponse...

Il reste le souvenir de ce qui fut, le souvenir de ces visages, de ces êtres qui, pour une raison ou une autre, ont plu, interpelé, lors de ces assemblées de personnes tel jour en tel lieu...

Il reste la fidélité au souvenir.

Ces géants qui n'ont jamais franchi la frontière de ces territoires d'enfance en eux ; n'ont aussi jamais de rancoeur, jamais le regret de l'émerveillement qu'ils ont eu... Comme ces enfants dont la mère s'en est allée un jour et n'est pas revenue : il n'y a que de grands yeux étonnés et ouverts, et l'absence, le souvenir d'un visage...

Ces géants là ne soulèvent pas au beau milieu de l'assistance, le levier de ce qui anime leur être... Ou alors c'est parce qu'ils y ont été conviés ou autorisés.

Ils voudraient peut-être, ces géants, dans leur main immense, tenir un instant ces petits visages, ces petites silhouettes ; les approcher de leurs yeux, leur souffler doucement dessus et les reposer sur le rocher où ils s'accrochaient tout juste avant d'être saisis et transportés sous le regard du géant...

Ils ont la fidélité de ces oiseaux de passage venant séjourner autour des mêmes pièces d'eau à la saison des voyages.

La pièce d'eau est comme le souvenir : claire et douce.

Le voyage et le retour sont la marche et la halte du géant...

Il n'y en a jamais beaucoup, de ces petits visages et de ces petites silhouettes à prendre dans la main immense : ils sont presque tous accrochés au rocher. Et le rocher est plus grand que le géant ; roule aussi plus vite que ne marche le géant...