Seules les choses de l’esprit et du cœur m’importent vraiment dans la traversée de l’existence qui est, je le réaffirme aujourd’hui… « Une si drôle d’expérience ».

Il est difficile pour un être sensible et profond, très attaché à tout ce qui touche à l’univers du relationnel, d’envisager l’existence comme le client de l’hypermarché, par exemple, naviguant en poussant son caddie entre les rayons regorgeant de marchandises, produits de consommation, de loisirs et d’utilité courante dont la nécessité réelle n’est pas particulièrement évidente ou motivante.

Aussi toutes ces choses là, qui peuvent se révéler être des éléments de notre confort, satisfaire nos besoins ou « doper » notre apparence, nous « situer » dans notre environnement social, je les traite avec une certaine indifférence, voire de la condescendance. Il m’importe nullement par exemple, de « me prendre la tête » pour la marque, la forme ou la puissance de la prochaine voiture que je serai forcé d’acheter parce que celle que j’utilise uniquement « utilitairement » rend l’âme au bout de trois cent mille kilomètres ; pour une réfection de façade de ma maison, ou pour un statut social au sein de la ville où je demeure par une quelconque adhésion ou participation à une association d’intérêt public en laquelle je pourrais avoir une fonction déterminante, enviée et honorifique.

L’univers du relationnel est le seul qui pour moi soit vraiment essentiel. Les autres univers, celui des modes et des tendances, celui de cette culture de « tout ce qui doit se croire et se savoir », si soutenue et si abondamment déversée par les grands médias de l’information, celui du « toujours plus et mieux » relayé par la publicité autour de la prolifération des biens et objets de consommation ; l’univers de ces apparences souveraines standardisées bien que diversifiées à l’extrême et qui d’ailleurs sont le plus souvent très décalées par rapport à la personnalité et la sensibilité vraies des gens ; sont des univers en les quels je me sens étranger, démotivé… Ou parfois en révolte ouverte. Ce sont pour moi des déserts… Mais il arrive que je me serve de toutes ces fleurs minérales artificielles du désert pour communiquer avec mes semblables et leur dire qu’il existe un « ailleurs »… où il n’y a plus de ces fleurs minérales. Les vraies fleurs minérales, celles des déserts de cailloux et de roches nues n’ont pas besoin de la main de l’homme pour être sculptées. C’est la nature qui les cisèle. Et les déserts dont les hommes ont couvert la planète sont bien plus inhospitaliers que les vrais déserts d’Afrique, d’Australie ou d’Asie…

Il est de ces êtres qui, durant quelques années de notre vie, ou même jusqu’à notre vieillesse ou mort prématurée, ont vécu, par épisodes ou d’une manière plus constante, au milieu de nous, participant ainsi à ces fêtes, anniversaires ou évènements familiaux, petits points disséminés sur un segment d’existence.

De ces êtres nous en avons aimés certains au-delà de toute raison, sans doute pour ce qu’ils représentaient consciemment ou non dans notre cœur et dans notre esprit. Nous les avons accueillis à notre table, ils ont dormi dans notre maison et nous les avons considérés comme un fils ou une fille bien aimés, un frère, une sœur, un parent proche… Et nous leur avons donné ce que nous pensions être le meilleur de nous-mêmes. Mais nous n’avons pas cependant touché ni le cœur ni l’esprit de ces êtres, sans doute parce que pour eux nous ne représentions rien de particulier et que nous les « bassinions »même…

Il en est d’autres qui attendaient de nous ce que nous ne leur avons jamais donné, et qui nous aimaient au-delà de toute raison pour ce que nous représentions dans leur cœur et dans leur esprit. Mais ces êtres là nous ne leur avons pas parlé, ils se tenaient à nos côtés et nous les avons ignorés…

La mort et les départs sans retour et parfois sans adieu ont balayé le vécu, terni ou sali les souvenirs, enfoui les « non dits », les silences et les blessures dans le grand sac de l’exilé ou de l’émigrant que nous sommes tous chacun de nous, à ce moment de notre vie où nous entrons dans le cœur de l’autre en étranger, où nous en sortons dépossédés de ce meilleur de nous-mêmes que nous croyions détenir dans nos bagages.

Et si nous découvrions alors, au-delà des fractures relationnelles, des séparations et d’une interrogation sans réponse, surgi comme un mirage vrai de ce qui était en nous un désert dont nous n’avons jamais eu conscience et que nous avons longtemps cru habité de rêves réalisables et communicables, un autre meilleur de nous-mêmes, différent et accessible, recevable celui là et transmissible ? Un autre meilleur de nous-mêmes si proche enfin de celui de cet autre dont nous n’avons pas cru en la présence possible parce qu’il était silencieux ?

C’est donc cela, le grand désert, l’absolu, l’infini, celui que nous traversons tous, celui de ce bédouin dont le message passe si près de la bédouine sans jamais la toucher ; celui de cet enfant Touareg rêvant de ce cavalier qui passe tous les matins et n’a pas même un regard.

Pardonnez moi la violence de mes propos, mais j’ai envie de vous dire que cet orgueil de merde qui sue de tout notre être par notre regard, notre éloquence, nos vêtements, nos bijoux, notre culture, notre comportement et nos affèteries, c’est ce qui pourrit ou dénature toute relation. Souvent maquillé en humilité, l’orgueil vit caché, ce qui me fait dire : « Ah, ces humains ! Ils ne sont pas forcément fiers mais ils ne sont jamais humbles… A l’exception des plus petits de leurs enfants et de ceux qui vont bientôt mourir n’ayant plus rien à prouver ni mettre en avant ! »

De toutes les « vraies valeurs », celles qui ne sont pas ces fleurs minérales ciselées par les humains, mais ces fleurs naturelles que l’esprit et le cœur de l’homme peuvent avoir en eux, il en est deux au moins qui m’émeuvent profondément : la gentillesse et l’humilité. Mais j’ai fort peu rencontré dans ma vie des êtres gentils et humbles. Ceux que j’ai réellement rencontrés furent des êtres écrasés ou exclus des « cénacles » où l’on se congratule. La dureté du monde est implacable pour les humbles et les gentils. J’en ai toutefois rencontré qui ont résisté parce que leur esprit était fort et qui eux, ont eu parfois dans des situations de leur existence, une dureté différente de la dureté du monde.