DES CONTACTS RUDES ET SANS CONCESSION

    Le racisme, le climat insurrectionnel, l’influence exercée par les évènements, les attentats, les nouvelles de la guerre… Tout cela renforçait encore cette violence, cette barbarie endémique, contagieuse et exacerbait les esprits surchauffés.
Cependant je m’étonnais parfois de la nature des relations qu’il m’arrivait de nouer occasionnellement avec certains « durs » de chaque « bord »…
A dire vrai mes questions les déroutaient autant que ma liberté de pensée totalement indépendante des modes et des passions…  Les contacts étaient rudes et dépourvus de concessions, nous étions la plupart du temps à la limite de l’affrontement mais nous arrivions à nous parler…
Sans doute au dehors, quelque part en ville, en une de ces si fréquentes situations si sensibles et si dramatiques, l’un de ces « durs » n’aurait pas hésité à « faire le coup de feu », à « jouer du couteau » ou à jeter une grenade, faire exploser une bombe, participer à un lynchage ou à une expédition punitive…
« Durs ou moins durs » autant qu’ils étaient pour la plupart, ne comprenaient pas par exemple pourquoi je désirais savoir ce qu’ils pensaient, pourquoi un étranger tel que moi souhaitait connaître leurs croyances, leur mode de vie, leur manière de penser…
L’on me traitait de « roumi », de « pathos », de « Jean de la lune », ou encore « d’intello », de rêveur incorrigible et fatiguant, ou même de « poète de mes roupettes »… Et ils me disaient tous : « Tu verras, toi aussi tu y viendras au racisme! »
Un jour je racontai à mon ami Ould Ruis l’histoire de la barre de fer et lui fis part de ma surprise de ne pas avoir été collé ou renvoyé… Il me dit « le proviseur c’est un type dur mais juste. Il n’est pas tout à fait dans l’esprit des Européens de sa caste dans ce pays déchiré… Il a bien compris à mon sens, que pour que tu en arrives là, il a fallu que tu en baves assez longtemps. Et tu vois bien, après cela on t’a laissé tranquille. Et ce qui me paraît extraordinaire c’est que par la suite, tu ne t’es pas trouvé complètement isolé comme une personne que l’on fuit parce qu’on la trouve un peu folle… Mais tu as tout de même été un peu loin et il s’en est fallu de peu pour que tu le tues! »
Durant cette seconde année de sixième, je me fis quelques copains et eus même autour de moi des « fidèles », dont par exemple un nommé Trianon, un gros garçon de famille bourgeoise et aisée, très conformiste, très sage, très travailleur mais d’une grande sensibilité… Ainsi que Tahar, un grand Algérien maigre et sec comme un long fil de fer, dernier de la classe mais très drôle et parfois un peu insolent…
Dans cette classe de 6ème A1 avec mon ami Ould Ruis, nous nous partagions les places de premier, les « félicitations » et les « encouragements » de fin de trimestre. En composition Française nous  battions des records  inégalés jusqu’alors : nous obtenions des 13 et des 14, que notre professeur d’ordinaire, ne mettait jamais, de mémoire des anciens… Même en mathématiques mon éternel point faible, j’arrivais à 14/20 dans les compositions trimestrielles.
Ould Ruis connaissait très bien l’histoire de son pays, depuis l’antiquité lorsque les dynasties de l’Egypte ancienne alors à l’apogée de leur civilisation et de leur rayonnement dans le monde méditerranéen, avaient établi tout au long de la côte Africaine jusqu’à l’Atlantique, des comptoirs commerciaux, bâti des cités… Il me raconta tout jusqu’à l’arrivée des Français en 1830.
Beaucoup de gens en France ou en Algérie, croyaient qu’avant l’arrivée des Français il n’y avait eu que des territoires sans histoire, des peuples sans pays, uniquement nomades et sauvages et qu’Alger n’avait été qu’un « nid de pirates »…
Mais comme tous les pays du monde en réalité, l’Algérie a bien une histoire aussi chaotique, évènementielle, de luttes, de conquêtes, d’occupations ; que toutes les nations d’Europe par exemple…
Les frontières ne représentent rien de concret, ne sont qu’abstraction et ne dépendent que de traités ou de partages entre différentes puissances étrangères ou entre dynasties régnantes… Ce sont les intérêts commerciaux et stratégiques, les arrangements aléatoires et opportunistes entre puissants empires ou pays ; les guerres et les conquêtes qui sont à l’origine de toutes ces lignes tracées sur les cartes… Ainsi en est-il de tous les pays d’Afrique depuis que les Européens sont venus sur ce continent pour s’y concurrencer parfois au prix de conflits qui, tout en les opposant entre eux, ont décimé des populations indigènes… Et les alliances ne se font jamais sans contre partie : lorsque deux clans rivaux d’un même village ne peuvent coexister en paix, il en est toujours un sinon les deux appelant  un autre clan d’un autre village afin de prendre l’avantage sur l’autre en échange de quelques concessions territoriales.