"CHEMBRIK", POUR "FAIRE ARABE"

    En ce premier trimestre désastreux je ne devais dépasser la note de dix sur vingt qu’en géographie et en sciences naturelles… Mais je fis cependant quelques progrès dès le mois de janvier, même en mathématiques avec monsieur Canarelli, ma « bête noire », obtenant neuf sur vingt.
J’avais des professeurs exécrables, à l’exception de monsieur Ramain, notre  professeur principal qui enseignait le français, le latin, l’histoire et la géographie ainsi qu’une jeune femme agréable professeur de sciences naturelles… En allemand, mathématiques et éducation physique c’était l’horreur, en particulier avec monsieur Canarelli le professeur de mathématiques, un Corse très sûr de lui, « frimeur », arrogant, moqueur et injuste. Chaque matin monsieur Canarelli se rendait au lycée vêtu d’un costume en tissu léger, jamais le même, son visage était très buriné et très typé, son regard dur et il nous écrasait tous de sa condescendance, de son air hautain qui « en disait long » sur sa vision du monde, et nous n’aimions pas ses manières de bellâtre, son humour, ses sarcasmes, ses réflexions à l’égard de certains d’entre nous… Il avait « souverainement déplu » à ma mère qui était venu le trouver un soir après les cours, afin de savoir « où j’en étais » de mes progrès en mathématiques…
Avec monsieur Ramain notre professeur principal, l’atmosphère de la classe sans être cependant des plus chaleureuses, était bien plus supportable… Originaire de Grenoble où il avait toute sa famille, pour un professeur de français je le trouvais « très intellectuel » , assez détaché des évènements et de la réalité quotidienne, un peu « fumiste », décontracté, d’allure sportive et son comportement en général ne « cadrait pas » avec l’image que l’on aurait pu se faire d’un professeur de Français et nous nous demandions ce qu’il était venu faire en Algérie…
Toutefois au vu des notes qu’il donnait à nos rédactions, à lire ses nombreuses annotations en rouge dans les marges, nous sentions qu’il attendait bien mieux de nous que ce que nous produisions. Il s’avérait difficile voire impossible avec lui de dépasser en rédaction la note onze et plus de la moitié de la classe se situait entre six et neuf… Mais il était beaucoup moins sévère que les autres professeurs, bien plus humain, ni obséquieux ni condescendant et parfois « assez marrant »… Il ne donnait jamais de ces « colles » pour un oui pour un non…
Passionné de moto il était « casse cou », roulait « à fond la caisse » et sans casque…
Ma mère lui demanda de me donner des leçons particulières car j’avais accumulé durant la dernière année scolaire à deux reprises interrompue, d’assez grosses lacunes en grammaire, orthographe et analyse de texte. J’avais bien les idées selon monsieur Ramain, mais mon esprit critique était déplorable et côté raisonnement c’était « plutôt épique »…
Monsieur Ramain se rendait donc chez nous en moto, posait son casque sur la table - sans doute pour laisser croire à ma mère qu’il le mettait en roulant - et la leçon commençait…
A vrai dire les leçons prirent un jour une tournure inattendue car ma chère maman semblait avoir pris ce garçon en affection…
Cela ne dura guère… Monsieur Ramain fut victime sur la route d’Alger, d’un très grave accident : il s’était encastré dans le moteur d’un autobus percuté de plein fouet. L’aiguille du compteur de sa moto était bloquée à 150.
Durant cette année de 6ème, je n’eus pas vraiment de « bons copains » à l’exception de mon camarade de table en classe de mathématiques, auprès duquel j’avais essayé de me faire passer pour un Arabe : je lui disais que mon prénom était Ahmed, j’avais transformé mon nom en « Chembrik » et je lui sortais les mots que j’avais appris en Tunisie en forçant sur les « H » et les « RR ». Mais il ne fut pas dupe… J’avais la peau trop blanche pour un Arabe. J’aurais pu à la limite, être Kabyle , comme l’était monsieur Gomati à Tunis.
Ce camarade là était très gentil, n’aimait pas les riches, n’était pas raciste… Alors je voulais être pauvre et Arabe… En outre il était « bon en maths » et me « filait des tuyaux ». Ensemble nous arrivions à « niquer monsieur Canarelli »…