DES PREMIERS MOIS EN ALGERIE SANS MAGIE...

    Durant les trois années de notre séjour en Algérie, entre mon père et ma mère bien que leur relation fut cordiale et qu’il n’y eut plus de drames ; quelque chose était brisé entre eux. Et cette atmosphère de complicité, d’entente commune, d’unité de pensées et d’idées qui fut la leur entre la fin de l’été 1956 et le printemps de 1958, et aussi au tout début de leur mariage, disparut peu à peu…
Les évènements se succédèrent et se précipitèrent, sur fond de guerre civile, d’insécurité permanente et de passions exacerbées dans ce pays déchiré qu’était l’Algérie avant son indépendance.
Ce qui allait inévitablement les entraîner tous les deux vers la rupture définitive fut, autant pour l’un que pour l’autre, déterminé par la rencontre d’une femme pour mon père et d’un homme pour ma mère… Et lorsque cette rencontre se produisit, alors ce fut comme un embryon de vie à venir qui se forma.
Le 31 Août 1961 lors d’une traversée de la Méditerranée en bateau entre Marseille et Alger, d’un retour de vacances en France ; ma mère fit la connaissance de Roger, un « Pied Noir » né à Berrouaghia  le 7 janvier 1919.
Sur l’avant pont des quatrièmes classes durant la traversée, nos chaises longues au milieu de nos bagages éparpillés se trouvaient tout à côté de celles des Darmon qui eux, revenaient de Marseille. Nous avons les uns et les autres « sympathisé » car en Algérie et en l’occurrence sur ce bateau qui ramenait des gens de là bas au pays, le contact s’établissait presque toujours assez facilement, sans « fioritures » et tout à fait spontanément..
Mon père avait passé son congé d’été en France en célibataire, du côté de Cahors et nous avait donc laissés ma mère et moi à Tartas dans la nouvelle maison de mes grands parents… Il fit la connaissance de « Janou » à Laroque des Arts dans le Lot où il pêchait en bateau et séjournait dans une hostellerie rustique. Janou, une femme mariée à l’époque, séjournait seule elle aussi dans cette hostellerie, pour « raison de santé »… Et dans une situation de rupture…
Totalement différente de ma mère mais d’une personnalité et d’une sensibilité hors du commun, Janou était une femme très belle avec de grands cheveux noirs qui lui tombaient dans le dos, des yeux noisette ouverts telles deux fenêtres sur son âme profonde… Née le 25 juin 1928 et originaire de Seine et Oise (Yvelines) elle était donc âgée en 1961 de 33 ans et mon père né le 31 juillet 1925, de 36 ans…
Janou « explosait de féminité », d’énergie vitale, d’imagination et d’initiative… C’était une femme très sensuelle mais d’une intelligence intuitive et profonde. Pour un homme tel que l’était mon père, cette femme fut une « révélation »…
    Dans les premiers mois en Algérie, à Blida, tant que nous séjournâmes dans l’appartement du central téléphonique, ce fut encore une époque transitoire… Nous campions à dire vrai. Je dormais sur un matelas pneumatique entre les cartons dispersés ; le lavabo fuyait, l’évier était triste et sale avec sa robinetterie toute rouillée, le réchaud à alcool était une vraie « bombe à retardement » ; nous n’avions encore pas d’amis ni de connaissances… Et puis ici « ça sentait la France » avec tous ces Européens à la mentalité de colon ou de « petit fonctionnaire de province », racistes, orgueilleux comme des poux, conformistes, bourrés de préjugés, arrivistes et mesquins…
Dans l’Algérie de ce temps là, alors que les paysages étaient bien ceux d’Afrique du Nord, et que le soleil régnait sans nuages dans un ciel entièrement bleu et lumineux pendant plusieurs semaines d’affilée ; l’on sentait cependant partout y compris dans le « bled », la présence de la France : les routes, les bornes kilométriques, les panneaux indicateurs, les uniformes des gendarmes, les structures administratives, les bureaux dans lesquels on voyait la photo du Général De Gaulle, les enseignes des magasins… Tout rappelait la France… D’ailleurs l’on disait « les départements Français d’ Algérie »…
Ainsi  ne fut-ce pas pour nous dans les débuts de notre vie en Algérie, aussi « magique » qu’en Tunisie…