Bien que je t’adresse cette lettre à toi personnellement, je t’autorise et même je te suggère de la faire lire à tous ceux qui parmi vous sont encore présents à la poste de Bruyères, et qui m’ont connu. L’estime que j’ai pour toi n’est d’ailleurs je crois bien, un secret pour personne.

Voilà…

Le 12 janvier 2005, un mercredi, sera pour moi le dernier jour de mon activité professionnelle. Il va sans dire que je fête cet évènement en « grande pompe » avec d’une part mes collègues de la poste de Saint Julien en Born, bureau dans lequel j’ai travaillé durant les 3 derniers mois, et d’autre part quelques uns de mes collègues brigadiers EAR du groupement Landes Océanes.

Le 12 janvier étant mon ultime jour de travail, c’est seulement le 14 que je fais la fête… toute la journée. A ce niveau là, je n’en serai plus à une journée près…

Le 12 janvier n’est pas pour moi une date ordinaire, loin s’en faut !

C’est en effet ce jour là qu’en l’année 1977 tu fis ton entrée à la poste de Bruyères, venant je crois de Paris 61 si mes souvenirs sont exacts.

Une petite Vosgienne enfin revenue dans sa vallée de la Mortagne.

Je te revois encore ce 12 janvier 1977 dans une robe rouge, avec un grand imper blanc.

J’étais à la « cabine financière ». Au moment de la rentrée des facteurs. Y’en a même un parmi eux, peut-être était-ce Michel Douche, qui a dit « voilà le petit chaperon rouge ».

Te voyant donc débarquer ainsi, alors que ton arrivée était annoncée depuis au moins 15 jours, j’en étais quelque peu ému. Et c’est bien normal : la féminité m’ a toujours émerveillé depuis ma plus tendre enfance. Soit dit en passant selon une expression de moi qui a fait long feu déjà, merci pour toutes ces « piqûres d’héroïne dans la veine à vif sans les effets secondaires dévastateurs »… Ces piqûres qui m’ont convaincu que le paradis existait déjà sur Terre avant d’exister dans le ciel.

Bien des années plus tard, un jour d’été au guichet, tu devais être en vacances, des gens qui te connaissaient bien m’ont parlé de toi, évoqué cette gentillesse, cette délicatesse, cette discrétion qui te caractérisent particulièrement.

J’ajouterai pour ma part « une certaine élégance dans une merveilleuse et authentique simplicité ». Quoi que je puisse dire aussi ( mais ce n’est pas trop grave ) : « une réserve et une mesure en toutes choses qui confine parfois à une certaine froideur portant ombrage à ce meilleur de toi-même à nul autre pareil ».

Le vendredi 14 janvier de cette année 2005 rappelle à mon souvenir ce même 14 janvier 1999 lorsqu’à la poste de Bruyères je fêtais mon départ… En compagnie de mes « petites fées », toi et Françoise à mes côtés et devant mes nombreux copains des Vosges, sans compter quelques « clients » que j’avais invités. Le conseiller financier que j’avais été neuf ans durant, dont quatre sans cravate, et qui se déplaçait à vélo, avait fini par avoir une « grosse cote » auprès des dames et demoiselles, naturellement bien conseillées pour leurs placements.

Six ans ont passé.

Un gouffre, une éternité…

Parce que je viens de traverser durant ces années un autre « segment d’existence »… Avec d’autres « piqûres d’héroïne » et une toute autre carrière comportant quelques épisodes atypiques.

Mais ce 14 janvier 1999 est aussi proche de moi aujourd’hui que le jour d’hier.

Mon écriture a évolué aussi.

Sans doute avez-vous pu me lire, les uns et les autres, dans l’Echo des Vosges, Marianne, l’Est Républicain, l’Humanité Hebdo et même, mais plus rarement, dans Le Monde et une fois dans le Figaro… Je « squatte » en effet partout où l’on veut bien accueillir mes propos généralement axés sur des sujets d’actualité.

Mais cette écriture là n’est pas la seule. J’en ai une autre, plus libertaire, plus « hard », plus « du fond de mes tripes ».

Cette écriture là envahit régulièrement les pages d’un petit fanzine qui se nomme ROUE LIBRE, distribué gratuitement, lu en pays de Born par quelques dizaines de personnes et notamment au cinéma de Contis, un espace où l’on pourfend cette culture kitsch ultra médiatisée genre Star Académy et autres conneries soporifiques édulcorées de nos différents programmes de télévision.

Certains Chrétiens définissent l’enfer par la perte de la présence de Dieu…

Je dirais de l’enfer qu’il est assurément celui des fractures relationnelles.

Quand t’as été bien avec quelqu’un, que t’as bu avec lui au même verre, que t’as partagé avec lui des émotions, traversé avec lui des segments d’existence… Et que, suite à un énorme malentendu tu n’as plus jamais revu cette personne, il y a bien là une fracture relationnelle. Et c’est ce qu’il y a de pire, je crois.

Plus encore que d’avoir à subir toutes les injustices, toutes les hypocrisies et toutes les violences.

Dans cette si drôle d’expérience qu’est la traversée de la vie, j’ai parfois vécu ce genre de fracture. Je ne m’en suis jamais remis…

Telle est donc ma définition de l’enfer sur Terre.

J’exhorte tous les acteurs de la grande scène du monde à ne jamais porter à leurs lèvres la coupe si amère de ce vin maudit entre tous : celui de la fracture relationnelle.

Mais si j’ai une définition de l’enfer, j’en ai une aussi du paradis, semblable à celui qui fait vibrer de bien être les ailes de la mouche entre les plis d’un rideau… comme entre les plis de toutes les féminités.