Le style épistolaire me serait donc familier et « je m’y défendrais assez bien » selon quelques personnes de mon entourage…

Non ! Je n’ai pas fait d’études ! A l’âge de 19 ans en 1967, je redoublais une 1ère C au lycée Victor Duruy de Mont de Marsan. Normalement, le proviseur, monsieur Guinez, acceptait que je redouble ma 1ère en série A. Je souhaitais en effet m’orienter vers la philo et des études littéraires. Mais monsieur Mula, le censeur, n’a pas été de l’avis de monsieur Guinez parce que je venais du « moderne » depuis la classe de 3ème. J’ai donc redoublé ma 1ère M dans une 1ère C4, ce qui me fut fatal. Comment un 15 en Français dans cette classe pouvait-il compenser un 1 en maths et en sciences physiques ? Le bulletin du 3ème trimestre ne me surprit guère : « Est prié de choisir une nouvelle orientation »… J’étais donc « viré ».

Entre temps j’étais classé 293 sur 1500 reçus au concours d’agent d’exploitation des Postes du 17 novembre 1966.

Pour autant que je me souvienne, à l’école je n’étais vraiment bon qu’en Français. Enfin, pas toujours ! Cela dépendait du sujet. Ainsi en classe de 6ème au 1er trimestre j’ai eu pour sujet « vous accompagnez votre mère au marché, racontez ». Résultat : 6/20 et classé 26ème sur 37. Par contre en classe de 3ème avec monsieur Hébert, au lycée Victor Duruy, j’étais premier avec 14 à chaque trimestre. Et en 1ère C avec une jeune femme qui ne notait jamais au dessus de 14, j’étais premier avec 15 et une fois même 18 ! Il est vrai que le sujet m’avait fort inspiré : culture et communication dans le monde d’aujourd’hui. D’ailleurs l’un de mes copains de la Poste des Landes, devenu conseiller en patrimoine en 2002, m’a déclaré un jour dans une réunion : «C’est grâce à toi que je suis entré à la poste en 1968. Pour l’épreuve de Français, j’ai eu le sujet de ta composition en classe de 1ère et je me suis servi de mémoire de ta copie qui fut présentée comme corrigé type ».

Et pourtant dans la classe de cette jeune femme, j’étais de la bande des plus gros chahuteurs et contestataires… Mais jamais consigné comme mes camarades !

Confusément je sentais ce « quelque chose en moi » qui me dépassait, dont je n’étais pas propriétaire et auquel beaucoup se ralliaient. Ainsi les « lèche-cul » du 1er rang et les « chenapans » du dernier banc me voulaient de leur côté. Mais je les emmerdais tous et quand j’avais envie d’être gentil – et alors je l’étais vraiment-, je ne regardais pas s’ils étaient apaches ou beaux gosses…

Pour leur part, les professeurs à l’exception peut-être de monsieur Lafitte, le prof de gym et de « Pepone » celui d’Histoire, semblaient accepter mes incartades, mes chahuts et mes « drôleries ». Et même monsieur Guinez, le proviseur. Mais pas monsieur Mula, le censeur, éternelle silhouette cadavérique en imper caca d’oie.

Le « top du top » fut la classe de 3ème en 1964. Cette année là je fus premier partout même en mathématiques avec le rigoureux monsieur Cabannes.

Je reconnais que lors de cette mémorable année scolaire, le statut de « vedette » dont je bénéficiais auprès de mes camarades et d’un certain nombre de profs, me convenait parfaitement. J’organisais dans la cour de récréation de « grands débats philosophiques » alternant avec des parties acharnées de « paillasse », de rugby ou de « quetche » (jeu de balle au mur). Au réfectoire les grands de terminale et de première me réservaient une place de choix entre eux. Je leur passais en effet mes brouillons de composition Française. J’étais donc la « vedette » du lycée, encouragé… ou toléré par les « Autorités », vénéré de mes copains, reconnu par les « Grands ». Mais j’avais 16 ans !

Avoir vécu de tels moments, au moins une fois dans sa vie, surtout à cet âge là, ça fait tout de même du bien ! Aussi cette année 1964 au lycée Victor Duruy à Mont de Marsan, fut elle, avec les années de Tunisie et celles d’Algérie, des meilleures et des plus émouvantes de ma vie !

Au dortoir où nous étions 30, bien avant que ne sonne l’angélus du matin et que ne retentissent sur le plancher les pas cadencés du « schpountz » (veilleur de nuit), à cette heure de la nuit finissante qui est elle de ces « rêves visionnaires » ; éveillé et tout bouillant de « vie intérieure », j’observais les visages endormis de mes camarades et j’écoutais avec une certaine émotion leur respiration. Il me semblait alors que leurs souffles, leurs râles et leurs haleines s’apparentaient à des paroles ou des confidences. Et c’était bien là comme un murmure de torrent de montagne jailli de la source.

Les plus beaux jours et les plus belles nuits furent cependant ceux et celles du samedi et du dimanche lorsque, par préférence, pour cette atmosphère et cette convivialité entre nous, d’un petit groupe d’internes, je décidais de passer le week end au lycée.

Lassus et Lasserre, les éternels consignés du dimanche que monsieur Mula ne graciait jamais, rejoignaient notre groupe et nous passions la soirée du samedi devant la télévision en « noir et blanc » au foyer, ou bien nous confrontions nos talents de stratèges dans d’interminables parties d’échecs. En ce temps là, nos deux chaînes de télévision ne nous déversaient pas ces émissions de télé réalité genre Star Académy, La Ferme ou Les Colocataires et autres imbécillités anesthésiantes.

Et les nuits du dimanche, les pas cadencés du « schpountz » avaient bien une résonance particulière, la « parole respiration » des camarades révélait encore mieux ce « plus vrai d’eux-mêmes à nul autre pareil ». J’avais donc 16 ans et de la candeur ! Mais je dis aussi que si je n’avais pas eu ces copains là, ni certains professeurs, pour m’encourager et m’inspirer, sans doute n’aurais-je point exprimé tant par mes paroles que mes écrits ou mon comportement, tout ce que je ressentais et que j’avais envie de partager. En d’autres lieux et autres circonstances de ma vie, je n’ai pas ainsi « ouvert mon ciel ». Sans « atmosphère », sans vraie convivialité, et si, selon mon expression « là où tu te trouves, personne ne t’existe »… alors, il n’y a plus de bonhomme. La coquille ne s’ouvre pas.

Les groupes que nous formions en cour de récréation autour de ces « débats philosophiques » étaient assez restreints, je le précise. Devant une assistance ou un public beaucoup plus élargi, je n’aurais certes « pas fait le poids » car je n’étais ni un orateur ni le genre de personnage « fort en gueule » à monter sur les tables pour prononcer un discours enfiévré.

Je faisais parfois rire en à crever avec mes réflexions pirates et mes pitreries. Alors que passaient les semaines puis les mois de l’année scolaire, je réalisais que mes meilleurs copains n’étaient pas toujours ceux avec lesquels j’avais des discussions sur les longueurs d’onde les plus favorables. Parfois, les moqueurs et les « durs »… Et même les indifférents, me surprenaient.

Le 17 juillet 1967 je suis entré à la Poste au centre de tri de la gare PLM à Paris où je devais exercer les fonctions de trieur de lettres et paquets jusqu’en 1976, année de ma mutation pour les Vosges. Cette culture dont tu parles et qui selon toi serait relativement étendue, n’est cependant pas si importante. J’ai lu Zola, Simenon, Gide, Camus, Sartre, Kafka, Mauriac, Hugo, Pagnol, St Exupéry et bien d’autres, je suis assez fort en Géographie, en Histoire, Astronomie et Sciences de la vie et de la terre, mais pauvre en économie, sciences physique, mathématiques, sports… Et vie et actualité des stars, vedettes ou autres personnages charismatiques des milieux littéraires et du music-hall. Lorsqu’il m’arrive par exemple de consulter « Le monde des livres » du vendredi, je suis « complètement largué ». Tous ces auteurs, toutes ces nouveautés… Je lis les résumés, les commentaires, les biographies sommaires rédigés par les journalistes, avec le « parcours » de ces gens là. Alors je me dis « Mais que puis-je dire de plus ou autrement qu’eux ? ».

La « profondeur » de mes textes, que tu évoques, me vient tout droit de cette si drôle, si tragique, si belle et si émouvante traversée de la vie. Je la dois pour l’essentiel à ma mère et à mon père, à mon enfance peu ordinaire et à tous ces visages du passé ou du présent qui entrent dans chaque période d’existence. Lorsque j’ai passé le concours des Postes en novembre 1966, j’ai eu pour sujet de Français : « On ne s’égare jamais si loin que lorsque l’on croit connaître la route ». Aujourd’hui, à l’âge de 57 ans je n’ai toujours pas de ces confortables certitudes qui rassurent. Les points d’interrogation de mon enfance sont peut-être encore plus nombreux, je n’ai jamais « construit ma vie » ni souscrit à des modèles de pensée. Même les anarchistes n’auraient que faire de moi dans leurs rangs…

Si je devais me situer, sans doute serais-je positionné dans ce petit groupe d’étoiles inconnues et non répertoriées sur les cartes du ciel, à l’extrémité du dernier bras de la spirale. Et de l’autre côté, là où aucun astronaute ne s’est risqué, tout est à découvrir… Ou redécouvrir.

N’avons-nous pas à certains moments de notre vie, de ces intuitions aussi fugitives que bizarres qui semblent dessiner dans notre mémoire des souvenirs plus anciens que notre vie ? C’est ce que je ressens parfois dans les visages qui m’émeuvent, dans le regard de cette « autre bulle de solitude »…

Ma cousine Marie Françoise Campa, qui habite à Mont de Marsan, m’aime beaucoup et que je chéris d’autant, a dit un jour de moi : « Guy est un être profond ». Mais comme je l’écris dans « A quoi ressembl’je ? » ou dans un autre texte, le témoignage de ma chère cousine dans un tribunal où je devrais comparaître, serait déclaré caduc…

Au fond, ce qui me conforterait vraiment, ce serait plutôt le jugement de mes plus féroces contradicteurs, le jugement même des condescendants et des moqueurs… Pour peu qu’ils reconnaissent tacitement ce « quelque chose en moi » dont je ne suis pas propriétaire.

Parfois en dépit de mes révoltes et de mes violences, de mes insolences et de mes inconsciences, il m’arrive de penser à ce que j’ai lu dans la bible au sujet de Jésus qui parlait de tendre l’autre joue. Ne vaut-il pas mieux se laisser tuer sur place plutôt que de vivre à genoux, enchaîné par tout ce que le monde nous impose ?

Si l’idée que tu te fais de ma culture me surprend, saches que je suis encore plus impressionné, non seulement par ce que vous exprimez les uns et les autres dans les forums d’alexandrie, mais aussi par vos différents profils. J’ai pu constater que la plupart d’entre vous ont écrit des livres, font état d’une expérience assez « riche », d’une formation universitaire ou animent des sites littéraires. Très franchement, mais sans toutefois me sentir étranger dans ce « bouillon de culture », je prends tout de même conscience de certaines lacunes… Qu’une vie jamais construite et des motivations sincères mais ombrageuses et désordonnées n’ont pu combler.

Quoi que je puisse dire ou écrire, je n’ai ni les « bagages », ni la formation universitaire ni les références. Ma « philosophie » demeure celle du poète anarchiste du bistrot du coin, certainement pas celle d’un Deleuze ou d’un Paul Ricoeur, loin s’en faut !

Oui, c’est vrai : je peste souvent contre les intellectuels, je les définis comme des personnages ne vivant pas dans le même monde que les gens de la rue et de la vie ordinaire. Mais bon sang ! Que je sache ! Ces gens-là ont étudié, passé des examens, des concours, ont été confrontés à des jurys, ont du « plancher » sur un sujet ou une épreuve pour obtenir un résultat. Cela, c’est la réalité.

Moi, je n’ai rien fait de tout cela, je ne sais pas ce que c’est le stress de l’épreuve, l’angoisse du résultat, l’appréhension devant un jury ni l’enjeu capital pour l’entrée dans une grande école, l’obtention d’un BTS ! C’est beaucoup plus facile et moins référentiel de se faire soi-même une culture générale que d’assister à des cours, de préparer des mémoires, de suivre un programme et de passer des examens. Or, c’est ce que vous avez fait pour beaucoup d’entre vous, les membres d’alexandrie… Et tous ces gens plus ou moins reconnus des milieux littéraires.

Comment un « YUGCIB », qui n’a ni bagages ni références, même en alignant ses milliers de pages sur des forums ou sur un site internet, pourrait-il se définir « écrivain » alors que des milliers de gens bagagés et référencés ont tant de peine à se faire lire, à trouver un éditeur pour leurs œuvres ? Et que représente finalement une petite publication par ci par là, un petit prix, une petite distinction ou quelques lignes dans un journal ?

Il faut quand même savoir comment le monde fonctionne, même avec un cœur qui saigne devant la manière dont ce monde se meut !

L’absurdité, l’injustice, la violence, la barbarie, l’hypocrisie ne sont pas des raisons suffisantes pour rejeter le monde. Les mauvaises herbes, c’est aussi la vie. Il n’y a aucune raison valable de rejeter le monde. Si je croyais en Dieu je dirais que la plus belle preuve d’amour que Dieu a donné à l’homme, c’est de lui avoir laissé le libre arbitre en face de la Connaissance. Le vrai résultat ne peut être atteint qu’au prix de ce risque là : celui du libre arbitre. Sur Terre ou ailleurs, tout a un prix…

Une dernière chose, Woland, avant de te quitter…

Il faut oser voir GRAND, BEAU, FORT, et différent du sens commun, dans la vie… Cette ambition là me semble parfaitement compatible avec des vertus aussi essentielles que l’humilité et la bonté. Autrement dit, ne pas baisser les yeux en face des moqueurs, des condescendants, des indifférents ou des pourfendeurs. Ne pas vouloir « péter plus haut que l’on a le cul », reconnaître la valeur et la force des gens mieux armés que nous sans pour autant se sentir « à la traîne » avec les yeux dans les chaussures, sauvegarder l’indépendance de son esprit.

Peut importe après tout que nous ne soyons RIEN sur Terre et dans l’univers, peu importe le fétu de paille de notre existence, peu importe la vanité de nos ambitions puisque chaque instant de notre vie est une petite éternité à nulle autre pareille, une seule fois vécue, ayant existé envers et contre tout, seule ou reliée…

« Il semble qu’il y ait des écrivains qui s’efforcent de vivre selon ce qu’ils pensent, tel Gaston Bachelard, et d’autres qui ne pensent qu’en fonction et dans les limites de ce qu’ils vivent, tel Albert Camus… …Retrouver l’homme selon sa dimension primitive et donc authentique, tel a toujours été le souci d’Albert Camus. » ( CAMUS, par André Nicolas )