L’enfer de Dante… Dans une baïne

Une dissertation sur l’enfer de Dante ? Non, sûrement pas, un lundi 28 juillet 1997 sur la plage de St Girons dans les Landes, en face de l’océan…

Mais l’enfer, il existe bel et bien : je l’ai vu, un instant, dans l’écume des vagues. Il dansait comme un vieux crapaud dégonflé, couvert de chiures de mouches, prenait la forme d’un très vieil agonisant ; sa peau en effet, était bien celle d’un crapaud, avec des reflets ventre de mouche verte, avait une consistance indéfinissable de peau de poulet trop cuit, sentait le fauve blessé à mort s’essayant encore au rut. Ce très vieil agonisant était l’image même de l’enfer… Et cependant ce n’était pas là le pire…

Il gisait, criblé d’escarres, les membres grêles et tremblants, squelettique, le regard perdu comme dans un ciel en eau de vaisselle vidé de tout son bleu et taché de crème à gâteau, sur un lit de fer au sous sol d’une maison de retraite médicalisée, sourd, aveugle, ne pouvant pas même lever un doigt, se décomposant lentement sur un matelas exécrable trempé de pipi et de vomi, souillé de déjections intestinales. Pouvait-il y avoir pire ?

Oui… Il y a encore pire… Dans un univers incommensurable de fantasmes liquéfiés, figés dans une mémoire vacillante et agitée de soubresauts indécents, ces fantasmes ne pouvant plus être assouvis, jetés de jeunes visages, d’élégantes silhouettes à jamais inaccessibles, aspirés comme dans le trou d’une baignoire. Atrocement salis d’une abjecte et définitive flétrissure, les visages et les silhouettes n’en finissaient pas de se diluer au fond du regard perdu du vieil agonisant.

C’est ainsi que j’ai vu l’enfer, un très bref instant, dans le creux d’une traîtresse baïne. 28 juillet 1997

Le pêcheur de crevettes et l’homme des steppes glacées du grand nord

Le pêcheur de crevettes qui n’avait jamais quitté sa crique et qui ne connaissait que l’océan et le village où il était né, en ballade pour la première fois de sa vie sur la montagne Vosgienne entre le Honeck et le Grand Ballon :

« C’était un océan en furie, dont les vagues titanesques touchant le ciel se seraient soudain solidifiées, pétrifiées, transformées en pierre et dont les crêtes les plus arrondies auraient été coiffées d’écume verte. »

L’homme des steppes du grand nord qui, lui, n’avait jamais vu l’océan :

« Toute la plaine à perte de vue, depuis les hauteurs sur la gauche, recouvertes de buissons épineux, jusqu’à la rive inaccessible du fleuve bleu, à droite, et de cette lointaine brume lumineuse vers le nord, jusqu’ à cette masse rocheuse vers le sud, était recouverte de neige chaude et jaune, une neige très poudreuse qui ne fondait pas, parsemée de grêlons creux ressemblant à de toutes petites poteries préhistoriques. Le grand fleuve bleu n’avait qu’une rive et ses flots agités n’arrêtaient pas de murmurer, la nuit, le jour, inondant au moins sur la droite la moitié de l’immense plaine jusqu’à l’horizon. »

29 juillet 1997

Les lunettes de soleil

Derrière des lunettes de soleil, on peut regarder qui on veut, à satiété, jusqu’à l’épuisement de ce râle intérieur, jusqu’aux dernières gouttes de pluie projetées par un sourire, jusqu’aux dernières éclaboussures d’une source jaillie d’un joli visage…

Cependant, derrière des lunettes de soleil, on perd le regard de l’enfance par le râle intérieur, et déjà, la relation, à peine entrerêvée, s’envole et le joli visage passe…

29 juillet 1997

Les Culs Nus

A trois cents mètres environ, au-delà de la zone de baignade surveillée, commence, à Saint Girons plage, le royaume des Culs Nus, des Zobs plus ou moins proéminents, et des Nénés de toutes tailles. Petits et gros, hommes, femmes, enfants, déambulent ainsi, sans problème, le cul au vent, la bite en pendentif, les nénés qui tressautent, et parfois, pour corser le tableau de famille, toutou, se carapatant en tous sens, la queue en l’air, la truffe frémissante et l’œil taquin.

C’est marrant, c’est sympa, ça fait de mal à personne, les bites ne bandent même pas, et toi tu es là, tu traverses la zone libertaire, tout habillé ou en slip de bain, et cela te donne une idée, une drôle d’idée que les pouvoirs publics n’ont jamais eu : toute la France à poil, et même toute la planète entière, un jour de l’année, du directeur au balayeur, du président de la république à l’employé du gaz ! Cela ne serait pas si mal ! A poil ! Tout le monde à poil ! Une fois l’an, comme au pays des culs nus !

30 juillet 1997

Le très vieil homme

C’était un très vieil homme, si vieux que personne ne pouvait dire s’il avait passé cent ans. Il était très maigre, avec les côtes apparentes, les jambes complètement décharnées, un visage triangulaire, émacié, creusé de sillons. Ses petits yeux vifs et noirs, ses longues mains osseuses, ses cheveux en bataille, longs et noirs, ondulés, son visage de vieil ange, lui donnaient l’apparence d’un très vieux Christ sans barbe, peut-être à cause de son regard d’enfant et de son allure de prophète des quatre chemins.

Vêtu d’une blouse ouverte, sans boutons, d’un slip rouge vif et marchant pieds nus, il avançait en plein milieu de la rue piétonne : les touristes le regardaient… et oh, stupeur ! A la place de cet endroit du slip où aurait du s’ériger une bosse, s’élevait en fait une colonne de lumière d’au moins trente centimètres de hauteur, toute droite, pointée vers le ciel, et tout au bout de cette colonne de lumière, un petit halo phosphorescent, comme une auréole de saint.

Toutes les filles et jeunes femmes qui passaient à proximité, et même de bedonnantes mémères, entraient devant le vieil homme en des transes inexprimables, semblaient se tordre de régal et de bien être sur le pavé… Elles voulaient toutes se saisir de cette colonne de lumière, se mettre à genoux et la lécher ; et le vieil homme, fort de cet attribut lumineux, se tordait lui aussi de plaisir et n’en finissait plus de soubresauts postillonnant d’étincelles, éclaboussant des visages épanouis.

Et dire que, trente ans plus tôt, avec un million de francs sur son compte en banque, trois villas sur la Côte d’Azur, deux mercédez et dix magazins de vêtements de luxe, il n’arrivait pas à faire frémir une vilaine naine rousse qui vendait des cacahètes sur une plage de prolétaires.

30 juillet 1997

Le kamikase

Tel un kamikase sur une piste cyclable, dans les dunes boisées entre les pins, les genêts et la bruyère, casquette visière en arrière, vitesse approximative 45/50 pour une vitesse autorisée de seulement 30 ; avec le chant des cigales, le murmure du vent dans les pins, c’est autant d’émoi et d’extases qu’en face d’un joli visage ou d’une élégante silhouette…

Si la vie est vraiment une expérience unique en son genre, et quelle expérience !... elle a parfois des petits secrets qui nous enchantent, et des attentes qui éclosent, pour peu que l’on regarde différemment, un bref instant.

Le kamikase n’était plus qu’un enfant dans les dunes…

30 juillet 1997