D'André Gide, introduction à " Paludes" :

"Avant d'expliquer aux autres mon livre, j'attends que d'autres me l'expliquent. Vouloir l'expliquer d'abord c'est en restreindre aussitôt le sens ; car si nous savons ce que nous voulions dire, nous ne savons pas si nous ne disions que cela. - On dit toujours plus que CELA. - Et ce qui surtout m'y intéresse, c'est ce que j'y ai mis sans le savoir, - cette part d'inconscient, que je voudrai appeler la part de Dieu. - Un livre est toujours une collaboration, et tant plus le livre vaut-il, que plus la part du scribe y est petite, que plus l'accueil de Dieu sera grand. - Attendons de partout la révélation des choses ; du public, la révélation de nos œuvres."

Le livre, un livre parmi de nombreux, très nombreux livres ; est celui qui raconte par exemple, l'histoire d'une fourmi... Une toute petite fourmi très commune, telle que l'on en voit courir au bas des murs des maisons, parcourant son chemin sur une distance de quelques mètres sous le regard que l'on lui porte...

L'auteur du livre fait ressembler la fourmi à un sous-marin mille pattes avançant sur le fond d'un océan d'atmosphère... C'est l'image de l'humain préoccupé de ce qu'il va faire sur son chemin de vie, se mouvant de ses deux jambes tout au fond de l'océan d'atmosphère...

Mais la nature n'a que faire de nos imaginations... Et toute l'écriture même, et en particulier l'écriture "imagée"... Est un rêve qu'aucun être vivant excepté l'homme, ne fait...

Ainsi l'auteur du livre, d'une certaine manière et la plupart du temps à son insu, explique son livre... Puisqu'il précise ce qu'il imagine et rend intelligible l'histoire qu'il raconte...

Ce qu'il y a – peut-être – de plus important dans un livre, c'est cette part d'inconscient que l'auteur a mise dans son livre...

André Gide dit que cette part d'inconscient serait la part de Dieu... Je dirais, moi, que cette part d'inconscient serait la part d'une connaissance universelle en nous, dont nous ne percevons fugitivement et de loin en loin, que des fragments voire des éclats de fragments, et qui peu à peu, nous deviendra accessible... Mais sans doute jamais en totalité....

"Plus la part du scribe est petite"... C'est à dire : lorsque l' écrivain ne "fioriture" pas, ne fait pas de son écriture une école, une architecture stylisée comme toutes ces oeuvres de pierre qui traversent les siècles...

"Plus la part du scribe est petite", donc... Et plus "l'accueil de Dieu", donc de l'universel et de la nature, "sera grand"...

Mais la part du scribe "petite"... Cela ne veut pas dire qu'elle soit "de tout venant" ou "du plus ordinaire voire du plus vulgaire"... Elle ne peut-être tout simplement, que d'une grande pureté et ressembler à l'eau claire et chantante d'un torrent encore tout près de sa source... L'on doit pouvoir entendre les cailloux et toute la rocaille sauter et se heurter, les chutes éclabousser dans la lumière du soleil...

... Il y a de cela quelques millions d'années (ce qui n'est rien ou si peu dans le temps de l'univers)... L'homme n'existait pas... Et l'écriture n'existait donc pas non plus... Mais entre les roches, coulait l'eau en ruisseaux...