La dureté générale, permanente et quotidienne du monde ; la dureté dans les rapports de communication, la dureté dans les jugements et dans les comportements, la dureté avec laquelle on parle des gens qui ne sont pas forcément présents quand on parle d'eux... Me fait toujours très mal et j'en arrive à ne plus pouvoir la supporter.

Cette dureté ne me révolte pas cependant... Se révolte-t-on contre la violence du vent ? Contre la violence de la nature ?

Cette dureté générale du monde est le " sens commun ", le sens habituel : c'est ainsi que fonctionne le monde tout entier... Il n'y a donc pas lieu de s'en étonner.

Le désespoir le plus profond à mon sens, que l'on peut avoir, ne vient pas de la dureté du monde mais de l' incapacité du meilleur de nous-mêmes à changer la vie que nous vivons, à changer la vie des êtres que l'on aime... Ne pas dire par exemple, au moment où il faudrait le dire, tout le bien que l'on sent, que l'on sait ou que l'on découvre en l'Autre... Ne pas exprimer ce qui peut être attendu par l'autre. Il y a bien là une impuissance tragique de cette capacité d'amour en nous qui pourtant existe, mais se trouve arrêtée dans son élan, ou figée dans le silence, ou retenue par timidité ou pudeur... Cette impuissance est d'une pesanteur extrême et c'est ce qui m' a le plus bouleversé dans la vie que je traverse... Et le plus interrogé aussi...

J’ai senti la philosophie et la littérature impuissantes, stériles, en face de cette incapacité du meilleur de soi-même à changer sa propre vie et la vie des autres... Lorsque survenait cette incapacité... Et elle survient toujours, l'incapacité, parce qu'il y a dans ce "meilleur de soi-même" comme une sorte de "contre-poids" – ou de pesanteur- constitué de la somme de toutes les "vérités" que l'on s'est faites et qui ne peuvent être forcément et logiquement appliquées, précisément, pour "changer la vie des autres"... ou changer sa propre vie...

... Ce que je dis être "le meilleur de soi-même" – de tous les "meilleurs" possibles de soi- ne peut être que la capacité d'amour que l'on porte en soi d'une manière qui nous est personnelle et ne ressemble pas à une autre, même tout à fait égale...

Il est évident que la capacité d'amour que l'on porte en soi, est "variable" d'un être à l'autre... Mais elle existe toujours.

... Ce que je dis être la "dureté générale du monde", est inégalement répartie selon les endroits, les lieux, les peuples du monde, et l'environnement relationnel qui existe en tel ou tel lieu... Elle est aussi, diffuse, imprécise, larvée ; peut prendre des formes diverses et éclater comme l'orage...