" La porte du bonheur est une porte étroite"... [Jean Ferrat]

     Cette porte du bonheur si étroite serait comme un film encore bien plus fin et plus transparent que par exemple, le film de plastique utilisé pour recouvrir les pots de confiture maison...

Un film si ténu, si transparent, qu'il ne se voit pas... Et pourtant le film existe, il sépare deux mondes, le monde de tout ce qui se voit, se sent, se touche, s'entend et même se pressent d'une part ; et le monde de tout ce que nous ne percevons pas et qui n'a pas de réalité immédiate ou tangible d'autre part...

Non seulement le film existe mais il est un passage, une sorte de passage entre les deux mondes...

Il est donc traversable.

Mais parce que le film demeure la plupart du temps, et surtout très communément, invisible, alors les deux mondes ne semblent faire qu'un seul monde, ce seul monde qui est celui que nous connaissons et dans lequel nous vivons.

La vocation la plus essentielle, peut-être, de l'artiste ; c'est de nous faire passer par les mots, par l'image, par le son, ou encore par la forme, par la facture des objets produits, comme à travers le film dans l'existence du monde inconnu ou non perçu habituellement... Et cela même sans que s'établisse forcément, une confrontation sans issue avec le monde de la réalité immédiate et vécue...

Le "passage" à travers le film si ténu et si transparent, qui nous révèlerait une partie de ce qui n'est pas visible ou perceptible, modifierait ce regard que l'on porte d'ordinaire... Le regard alors, s'ouvrirait sur un espace dans lequel nous ne nous sentirions plus isolé, enfermé ou indifférent, ou encore, conditionné par tout ce qui occupe et détermine cet espace...

L'artiste n'est pas cependant, une "exception culturelle" dans le sens où l'artiste demeurerait le seul personnage possible doté du pouvoir d'ouvrir le passage et donc, de faire traverser le film ténu et transparent... Autrement dit, toute personne ayant ou non une vocation ou une qualité particulière, détient en elle même le pouvoir de faire passer par des mots ou des images ou du regard ou des gestes ou de la voix, à travers le film si ténu et si transparent... Mais cela ne s'accomplit le plus souvent que par de tous petits éclats de lumière ou de transparence en nous mêmes, de tous petits éclats qui d'une certaine manière, font réapparaître le film traversable, le film qui devient ainsi la "porte étroite"...

La porte du bonheur est une porte étroite par laquelle ne passe pas ce qui ressemble à s'y méprendre au bonheur mais s'y étrangle, s'y étouffe, s'y débat et y meurt de mort violente après quelques sursauts... Seule passe par la porte étroite, cette sorte d' "étrange respiration" en soi, libérée de toute pression inutile ou vaine, ou ce regard lavé de tout ce qui l'a aveuglé...