Lors d'une interview sur “Zone Littéraire”, voici la question qui fut posée à Jean Echenoz :

Vous sentez-vous crevé, vidé, après avoir terminé l'écriture d'un roman?”

Voici la réponse de Jean Echenoz :

L'écriture est très physique, donc crevé mais pas vidé. La dernière version d'un ouvrage est la plus fatigante mais la plus intéressante, c'est également un temps où d'autres idées naissent, où d'autres projets se mettent en place. Une période où l'on se place dans l'après, où personnellement, j'essaie toujours de prendre le contrepied de ce que j'ai dit et écrit auparavant... L'occasion de casser une mécanique qui s'est mise en place pour ne pas se répéter. Donc jamais de vide ; plutôt soulagé, libéré et déjà dans une réalisation future!”

Si l'écriture est vraiment “physique” - et elle l'est certainement- alors comme tout travail physique (puisque l'écriture est un travail), elle devrait effectivement “épuiser”...

S'il y a une “dernière version” d'un ouvrage ou même d'un texte, d'un seul texte... C'est qu'il y a bien là un travail de la pensée, de la composition du texte dans sa forme et dans sa présentation... Il n'est jamais aisé, en effet, de “casser cette mécanique” qui se met sans cesse en place pour faire “tourner notre moteur habituel”, un moteur qui va répéter ses halètements, ses grincements, et finalement ses mêmes mouvements...

Et d'autre part, lors de cette “dernière version” du texte ou de la phrase, jaillit une idée nouvelle... Ou du texte d'origine, ou de la phrase initiale... surviennent d'autres mots, d'autres images, tout comme un fil posé sur une pièce de tissu, qui une fois tourné entre les doigts, se sépare en plusieurs fils plus fins...

En ce sens, ce sens d'une écriture “physique” impliquant la nécessité d'une “dernière version”, il n'y pas d'épuisement et encore moins ce “vide” survenant...

Lorsque le texte semble “achevé” enfin, et que le fil donc, a été tourné et retourné entre les doigts, et que les mots, les images se sont dévidés en filaments issus du fil... Il vient une sorte de sérénité, une sorte “d'instant karma”... Et lorsqu'au delà du tableau “achevé” se sont déjà formés dans leurs grands traits les prochains tableaux, alors “l'instant karma” se prolonge comme s'il ne devait pas prendre fin...

Ce qui serait réellement et cruellement épuisant – je dirais “insoutenable”- pour un écrivain, ce serait “d'être aujourd'hui, de main encore et pour combien de temps, complètement à sec”! De sentir venir les idées, de voir se former les images, s'entremêler ou se bousculer les mots... et ne pas pouvoir écrire! D'être devant un paysage, en face d'un visage, de se trouver en une situation de relation ou d'observation... sans cette pensée qui donne les mots à écrire mais avec seulement du ressenti à l'état brut...