Dans “David Copperfield” de Charles Dickens, un passage me revient souvent en mémoire tout au long de ma vie...

Celui où le personnage principal du livre évoque son camarade (ou ami) s'endormant toujours dans la même position, de côté, et son bras étendu hors du lit, la tête reposant sur ce bras...

Beaucoup plus encore que les mots même de Charles Dickens dans ce passage, mots sobres et émouvants dans leur simplicité et dans leur précision, évoquant si bien l'être endormi... C'est le sens profond, c'est l'atmosphère, c'est la poésie de ce passage qui me frappe et dont je ne cesse de me souvenir...

Les êtres endormis dans la position où ils se trouvent comme d'instinct, de préférence ou d'habitude ; m'ont toujours ému.

Lorsque j'étais pensionnaire au lycée Victor Duruy de Mont de Marsan entre 1962 et 1967, éveillé au milieu de la nuit dans les rumeurs et dans les ombres de la nuit, je regardais mes camarades endormis, j'écoutais leur respiration, et en ces moments là il me venait de “grandes pensées”, une émotion étrange et très belle, et il me semblait alors que tout ce qui vivait en chacun d'entre eux, de ces êtres si animés dans les cours de récréation ; me parvenait comme des secrets chuchotés à l'oreille, ou comme des dessins d'enfant suspendus dans un petit coin de grenier où personne ne va mais un petit coin de grenier devenu soudain accessible...

Et j'eus par la suite, quelques années plus tard, la même impression, la même émotion, à ces camarades d'auberge de jeunesse endormis, rencontrés au hasard de quelque route...

Leur respiration devenait parole. Et alors je sentais tout ce qu'ils existaient, tout ce qu'ils s'existaient... Dans le silence de ces nuits d'été que des matins très clairs venaient bien vite peupler d'oiseaux et éclairer de la lumière du jour. Et le jour était toujours nouveau, tel un jour empli de tout le passé, de tout le présent, de tout l'avenir à lui seul...