J'ai toujours pressenti depuis le début du Web, qu'il existait une différence fondamentale entre une communauté virtuelle et une communauté réelle.

Dans une communauté réelle (famille, amis, membres d'une association, voisins, gens se rencontrant dans la rue, foule même)... Une communauté de personnes réunies en un lieu ; il y a au delà de ce qui est dit, exprimé par telle ou telle personne ou par plusieurs personnes en même temps, une autre forme d'expression qui elle, est peut-être encore plus perceptible, plus présente : c'est celle du regard, celle de la manière d'être des gens.

Ainsi le “silence” de l'un ou de l'autre ou même de tous... Devient-il parole, réponse, expression... Le “silence” participe, le “silence” n'est pas dans l'espace d'une communauté réelle, un désert comme sur un fil de discussion dans un forum du Web (un fil par exemple, ouvert “dans le vide”)...

Au delà de l'échange purement verbal entre personnes réunies en un lieu, même si une ou plusieurs de ces personnes ne s'exprime pas, il y a tout ce qui participe à l'échange, tout ce qui entre dans la communication et lui donne ce que j'appelle “ de l'atmosphère”...

Dans une communauté réelle, celui ou celle qui s'exprime, quand bien même personne n'interviendrait pour répondre ou pour réagir, a devant lui, devant elle, des visages, des regards, de la “manière d'être”... Il y a donc bien dirais-je “absence de silence”... Car un visage, un regard, une manière d'être de l'autre, des autres... c'est de l'expression, c'est de la réponse, c'est de l'émotion, c'est du ressenti qui vient... pour celui ou celle qui dit, qui exprime, qui montre... et donc, perçoit directement, comme l'air ambiant, ce qui émane de la communauté réelle.

Et l'absence de silence, c'est aussi de l'absence de solitude... Et j'appelle cela “de l'écho”...

Dans une communauté virtuelle (famille, amis, membres d'un forum du Web, bloggeurs)... Une communauté de personnes dispersées qui ne se connaissent que par l'écrit ou l'image, et ne se sont jamais rencontrées... Il y a cette réalité du silence, du silence inexpressif, sans visage et sans regard, et donc, sans réponse, sans réaction, sans émotion perceptible, sans écho... Lorsque ce qui est écrit ou montré “part dans le vide” : au départ en effet, ce qui est exprimé en tapant sur le clavier d'un ordinateur “ne s'envole pas” dans un visage ou dans un regard en face... Il n'y a qu'un écran, un mur, une porte, une fenêtre, un paysage au dehors, ou une rue...

Et le “vide” alors, vient occuper de l'espace, de l'espace-temps...

... Alors vient pour celui ou celle qui “émet”, une sorte d'émotion, puis un imaginaire emplissant l'espace forcément vide du silence : il faut bien “inventer” un silence qui parle, un silence qui s'exprime, c'est à dire un visage, un regard, une manière d'être, du ressenti... Et “inventer” en l'occurrence, ici, devient une “drôle d'alchimie” : ça peut finir par puer, par étouffer, par aveugler, par assourdir... Et au mieux (ou au pire)... Par être “aussi orgasmique” qu'une silhouette ou un visage de femme en rêve...

L'écriture, lorsqu'elle est diffusée comme serait dite une prière de croyant, “voyage” de communauté en communauté (réelle ou virtuelle)... Et dans ce “voyage” d'une écriture devenue “prière”, il n'y a peut-être plus de “drôle d'alchimie”... Et donc, “ça ne pue plus, ça n'étouffe plus, ça n'aveugle plus”...

Mais l'écriture c'est souvent la “prière” de celui ou celle qui a toujours quelque chose à demander, à espérer qu'il advienne... C'est une “drôle d'alchimie”... Dont “Dieu” (ou ce qui “ressemble à Dieu”) n'a sans doute pas besoin...

Il faut donc que l'écriture devienne une sorte d'alchimie qui ne soit plus de l'alchimie...

Voilà donc la différence fondamentale qu'il y a, entre une communauté réelle et une communauté virtuelle...

Et il y a encore une autre différence : il peut y avoir de la virtualité dans une communauté réelle... Mais la réalité demeure en grande partie invisible dans une communauté virtuelle...

S'il y a une différence fondamentale entre une communauté réelle et une communauté virtuelle, la différence que je viens de dire... Il y a aussi une ressemblance fondamentale :

Dans la communauté réelle tout comme dans la communauté virtuelle, pour entrer il suffit de “toquer” à la porte... “On te demandera peut-être une pièce d'identité, on te fera remplir un formulaire, on te fera signer des papiers... Mais la porte est là, devant toi, elle existe...”

Ensuite, une fois entré dans la communauté, que vas-tu faire? Dire “coucou c'est moi, j'ai écrit un beau livre, j'ai un beau site, j'ai un beau blog, je suis ceci, je suis cela, j'ai fait ceci ou cela dans ma vie”... ?

Si tu dis tout cela, tu seras peut-être reçu et introduit dans la grande salle commune par “une sorte d'hôtesse dans le genre de celles qu'on voit derrière le comptoir d'accueil des grands hôtels, habillée d'un ensemble façon maison et la bouche en anus de pigeon barbouillée de rouge”... Et dans la grande salle commune, il y aura, au milieu, une table longue comme une limousine (mais trop courte vu le nombre d'invités et participants) chargée de verres et de petits gâteaux ; une table autour de laquelle “voltigent” les invités (qui bien sûr ont tous un beau site, ont écrit un beau livre et ont fait ceci/cela dans leur vie)... Et c'est fou (et épuisant) ce qu'il faut “jouer des coudes” afin de parvenir aux abords de la table et de pouvoir se servir un verre...

... Dans une communauté réelle ou virtuelle, entrer tu pourras toujours...

Mais si tu n'es pas “coopté” par quelqu'un qui, dans la place y est, sinon un “monument” mais tout au moins une personne bien présente et active... Alors “existe-toi”, “sois un bon alchimiste”!

... Mais il y a toujours ce qui se réalise, ce qui s'invente, ce qui se cherche, ce qui s'écrit, ce qui s'exprime, ce qui se croit, ce qui fait aller droit devant... Comme dans la prière du croyant...

Je pense à toutes ces personnes en mauvaise santé, handicapées ou trop âgées (mais néanmoins d'une grande vivacité d'intelligence et expertes en Nouvelles Technologies de Communication)... Qui, ne pouvant se déplacer de chez elles, et donc “sans lien social réel”... Ou encore même, à ces personnes sans ressources financières et vivant dans une extrême pauvreté, un grand isolement, confinées en quelque logement obscur d'un immeuble de faubourg miséreux (mais néanmoins possédant pour toute richesse des livres et un ordinateur connecté à internet)... Qui s'inscrivent à des forums du Web afin de “ne pas se sentir isolées” ; espérant trouver ainsi dans une communauté virtuelle, un peu de rêve à échanger, un peu de réconfort et d'amitié... Une sorte d'exutoire à leur solitude, et peut-être une “audience” à leurs écrits, à leurs propos...

Et par extension je pense aussi à tous ces “paumés, drogués, marginaux, révoltés de la société” (c'est ce qu'on entend dire) , ces “pollueurs de murs” (dont certains il faut le dire sont de vrais artistes en leur genre) ... Qui taguent murs, tunnels, couloirs et rames de TER ; exclus pour la plupart d'entre eux des communautés réelles (et reconnues)... Et qui s' agrègent en d'autres communautés informelles celles là, et comme virtuelles dans un certain sens...

Je pense encore à tous ces gens, hommes, femmes, adolescents, dont les rêves, les écrits, les pensées et les réflexions, ne sont jamais “existés” , c'est à dire considérés et reconnus, ni acceptés ou compris, dans la plupart des communautés réelles où prime une certaine consensualité, ou “normalité” du monde avec des codes, des règles, des modes...

Ceux là se tournent vers les communautés virtuelles du Web, par les blogs et les forums, afin de “vendre leur credo” pour certains d'entre eux... Afin de “ne plus se sentir seuls” pour d'autres...

Mais les communautés virtuelles sont parfois des univers de communication encore plus impitoyables, encore plus désertiques, encore plus stériles... Et quelquefois plus dangereux et plus violents, que les communautés réelles...

Les communautés virtuelles ont aussi leurs “lois” (si l'on peut dire!)... Leurs “signes distinctifs”, leurs victimes expiatoires, leurs “gourous”, leurs fidèles, leurs territoires, leur “bon chic/bon genre”, leur “façade”, leur “fonds de commerce”...

L'ennemour y est “pandémique”, la création y est “embryonnaire” ,et l'espérance aussi, y est démesurée...

... Et, comme je l'écrivais dans un texte du “Chien Vert” intitulé “le tableau raté” :

C'est le monde, étalé dans la laideur de son actualité, qui crépite de toutes ses escarbilles noircies, comme sur une toile couverte d'images corrosives hérissée de petites crêtes dentelées, parcourue de visages déchirés, exaltée d'ecchymoses, raclée au couteau, vibrante de musiques métalliques et dont le coeur démesurément étiré sous les plis de la croûte primaire, s'efforce de battre sous le soleil...”

Mais dans la dernière partie de mon texte, peut-être en “réponse” à ce que je viens d'exprimer ici, au sujet de ces communautés réelles et virtuelles... Voici ce que je dis, aussi :

“... Il fallait devant ce monde étalé comme un tableau raté, un regard libre, un regard régénéré, un regard qui ne soit pas celui d'un juge, d'une victime, d'un condamné, d'un profanateur ou d'un illuminé... Un regard différent de tous les autres regards...

...Il fallait, par delà et même à l'intérieur de toutes ces noirceurs, un drôle de coup de patte pour redessiner ces petits personnages, bleuir les hiéroglyphes aux pattes de mouche, reconstituer le puzzle des visages, enluminer la toile, colorier les hachures et surtout, “atmosphériser” tous ces petits bouts d'images éparpillés que l'artiste avait bien semé dans son ciel mais pas jetés sur la toile...

Là où il n'y avait que laideur, grisaille, indifférence, griffures, dureté et corrosion, était-il encore possible d'embellir, de pardonner, d'extraire de l'immaculé, et de circonscrire l'ensemble du tableau d'un regard aussi bleu que libre, au royaume d'un imaginaire suspendu par des fils de lumière au dessus de la nuit?”