Je ne sais pas pourquoi, j'ai imaginé l'histoire d'un écrivain qui, à un certain moment de sa vie, peut importe à quel âge ou lors de quel évènement de sa vie... Détruirait entièrement son oeuvre et ne donnerait plus signe de vie à ses proches (ses proches des milieux littéraires je précise)...

Il s'agit là d'un écrivain qui n'écrit que sur le Net, que sur un blog ou sur un site dont il est l'auteur et le créateur, que sur les forums où il s'exprime et auxquels il participe...

Parce qu'un écrivain dont les oeuvres sont publiées dans des livres par un éditeur classique et vendus en librairie, ou publiées par l'intermédiaire d'éditeurs en ligne; ne peut évidemment pas détruire son oeuvre puisque les livres ainsi publiés ont un exemplaire quelque part dans des archives officielles et déclarées...

Jusqu'à la disparition de la civilisation actuelle à la suite d'un cataclysme général ou selon le processus naturel de disparition d'une civilisation, tout écrit archivé et enregistré subsiste, même totalement inconnu de quelque public que ce soit...

Dans un suicide physique, c'est à dire l'acte qui consiste à se donner soi-même la mort, il n'est jamais possible de “revenir en arrière” et donc de “regretter” de s'être suicidé...

Dans un “suicide littéraire”, c'est à dire l'acte qui consiste à détruire ses écrits papier, à effacer son site ou son blog, à ne plus donner de nouvelles à ses proches des milieux littéraires, à ne plus participer à aucun forum ; il faut que le “suicidé” ait l'absolue certitude irrévocable à jamais, de ne jamais/jamais par la suite, regretter de s'être “littérairement suicidé”... Car si tel devait être le cas, ce serait “l'enfer absolu” du vivant restant du “suicidé littérairement”... [ Je ne pense pas que l'écrivain ayant tout détruit de son oeuvre puisse jamais reconstituer son oeuvre... Ou peut-être en élaborerait-il une autre?]

... Frantz Kafka avait dit (et écrit) qu'il ne souhaitait pas que ses oeuvres soient publiées : mais il ne l'a spécifié, je crois, que peu de temps avant qu'il ne meure, et il avait demandé à son ami Max Brod de détruire ses carnets ou ses cahiers, lorsqu'il serait mort... Max Brod n'a pas suivi les volontés de son ami et a quand même récupéré des écrits... Ce qui nous valu de connaître Frantz Kafka.

Dans le rêve qui est à l'origine de l'idée dont je vous parle, celle de l'écrivain qui détruit toute son oeuvre, je n'arrive pas à déterminer si oui ou non, l'écrivain en question “regrette son suicide”... La seule chose qui m'a vraiment frappé, impressionné, c'est son geste, sa décision même... Et l'accomplissement réel, de son geste, comme dans un suicide physique sans retour possible...

Mais l'écrivain peut-il en vérité se “suicider littérairement”? En a-t-il la possibilité?

Le “suicide littéraire” n'est possible que pour une personne qui écrit sans être écrivain et qui n'a jamais rien exporté, c'est à dire seulement écrit à la main dans des cahiers, des carnets ou sur des feuilles, et qu'il n' a jamais montré ni fait lire à qui que ce soit... (sauf peut-être à des très proches, de sa famille et deux ou trois amis)... Alors dans ce cas précis, oui, l'écrivain (ici ce n'est plus un écrivain mais une personne écrivant)... Peut se “suicider littérairement” en détruisant ce qu'il a écrit. En fait il ne se “suicide” pas, il ne naît pas à l'existence littéraire, et c'est comme s'il effaçait une inexistence littéraire qui n'a pas prise sur son existence.

Il ne reste rien : pas de trace...

Par contre, l'écrivain qui s'exprime sur des forums du Net, s'il peut tout de même effacer le site ou le blog qu'il entretenait, ne peut cependant pas, de lui même, détruire ce qu'il a écrit dans les forums : pour cela, il doit nécessairement contacter les administrateurs du site à forums et leur demander expressément de tout effacer afin qu'il ne demeure plus aucune trace...

Il y a gros à parier que le ou les équivalents d'un Max Brod, ne se conformeraient sans doute pas tous aux dernières volontés d'un “Kafka”...

L'impossibilité de se “suicider littérairement”, sciemment organisée par l'écrivain du fait qu'il a multiplié et dupliqué ses écrits ; n'est-elle pas une forme de schizophrénie? Dans la mesure où l'écrivain, par ce qu'il a sciemment organisé, s'est enfermé dans un cercle (ou une bulle) dont il ne peut jamais sortir de son vivant? Et qui est peut-être un enfer dans lequel l'écrivain se débat et veut à tout prix transformer en paradis?

L'autodérision poussée jusqu'à l'autodémolition, serait-elle une forme de “suicide littéraire partiel”?

L'idée de suicide d'ailleurs, mais sans le suicide physique réalisé – et toujours évoqué – est peut-être du domaine de la schizophrénie...

Un écrivain qui pratiquerait l'autodérision jusqu'à se démolir lui-même, laisserait volontairement apparaître dans son oeuvre et dans ses écrits, des mots horribles, aurait parfois de ces réflexions inattendues de sa part, qui le décrédibiliseraient, choqueraient, déstabiliseraient certaines personnes qui le lisent ; et même, produirait des oeuvres dérangeantes... Serait un écrivain “suicidaire”...

Nous sommes tous, auteurs du Web et posteurs d'écrits ou de messages dans les forums, soucieux de notre “image de marque”, enclins à nous présenter sous le “meilleur jour possible”... Mais c'est une imposture! Il vient toujours un moment, une circonstance, une situation sensible où nous apparaissons tel que nous sommes... Les “fioritures” tombent.

Alors, pourquoi ne pas “aller de l'avant” et jeter ces mots horribles qui nous viennent, de quelque tréfonds de notre âme? Ces mots venus de ce que nous avons ressenti? Est-on responsable, d'ailleurs, de ce que l'on ressent?

Les mythes ne sont-ils pas des leurres quand ils nous apparaissent comme de beaux édifices de pensée, de belles pièces d'architecture littéraire ou intellectuelles, ou sous la forme d'un personnage de légende très charismatique, très lu et très écouté?

Qui y croit, aux mythes?

Combien d'entre nous aiment par exemple le lapin comme on aime un chat ou un chien? Mais mangent du lapin?

Le lapin, le beau petit lapin! Qu'il est mignon! Et quel merveilleux compagnon de jeu pour le gosse!

C'est un mythe, ce lapin! Un mythe de douceur, de gentillesse et d'affection... Un refuge contre la violence, la barbarie, la brutalité, la dureté du monde...

Alors l'écrivain peut avoir la tentation de taper sur le mythe... Sur son propre mythe (j'appelle ça : chier sur son propre système)... “Bouffer le lapin” en quelque sorte, en dardant un oeil “vache”!

Et tant pis si ça choque, si cela blesse même!