L’image de la mort par le visage mort de la personne disparue qui nous fut si chère ou même par la forme inanimée de tout être qui auparavant avait un regard, a tellement de réalité qu’elle en est même surréaliste…
Comment en effet l’esprit des vivants que nous sommes encore peut-il intégrer en son « entendement », la réalité d’un visage inanimé ?
    Je pense à ces personnages de cire du musée Grévin… Dans les décors reconstitués de différentes époques, dans ces mises en scène de personnages habillés et grimés, la représentation en trois dimensions fait encore illusion.
Mais dans la mort il n’y a plus de tricherie ni de contrefaçon. Rien que la nudité d’un visage au teint de cire, rien que deux trous béants qui étaient des narines, deux fentes aux lèvres froides qui étaient des yeux ouverts…
Dans l’esprit du vivant, cette image là peut paraître surréaliste. Elle ne rejoint pas ce que l’on imagine de la mort. Même dans son  réalisme absolu, même par son impact immédiat, elle demeure  inaccessible… Proche et indicible, lointaine et interrogative…
    Et c’est pourtant cette image là que nous allons un jour recevoir de ceux qui aujourd’hui sont là près de nous et disparaîtront…  
Dans le cadre d’une réunion familiale, entre amis ou connaissances, vient ensuite le temps des réminiscences, des anecdotes et de l’évocation  de quelques traits de caractère… Et ce « meilleur de lui ou d’elle-même à nul autre pareil », prend alors une dimension qu’il n’a peut-être jamais vraiment eu de son vivant traversé parfois sans reconnaissance…
Que n’a-t-il été « existé » par tous ces gens si préoccupés de « s’exister eux-mêmes » et dont certains étaient du cercle des proches, du cénacle ou du monde des connaissances ?
    Les gens disparaissent toujours avec ce qu’ils n’ont pas dit, avec leurs rêves qu’ils ont parfois exprimés mais qui furent le plus souvent des messages codés  dispersés entre les solitudes, les projets et les destins entremêlés ou entrechoqués dans la danse de la vie.
    La compétition est rude, certes…
Le culte de la réussite, la tyrannie des apparences, l’exacerbation d’une « vision du monde », le mirage des certitudes… Et cette quête d’un « meilleur avril », d’une « terre promise », d’une bonne place au soleil, cette quête de reconnaissance, quel en est le poids réel dans une compétition dont on sort tous perdants sous la forme d’un visage inanimé au teint de cire ?
La compétition est rude. Elle est même absurde. Mais le meilleur de soi même, contrairement à ce qui lui est étranger, n’est jamais ordinaire. Et c’est par lui que peuvent être brouillées les cartes de la grande compétition. Encore faut-il pour cela qu’il se fasse exister de son vivant par ceux et celles sans lesquels on n’est rien…