Il avait, comme on dit « pété un câble »… Passionné de rallye automobile, et en dépit de son modeste budget, il avait équipé sa voiture et participé à quelques compétitions d’amateurs. Il n’en dormait plus, de ses projets, de ses préparatifs… Et de ses rêves. A tel point qu’un matin, alors qu’il travaillait de nuit dans une usine, il voulut effectuer une sortie, essayer sa voiture sur une route peu fréquentée.

 Avec tout ce qu’il absorbait comme remontants, il ne sentait plus une fatigue, qui, à la longue s’accumulait ; et, ce matin là, il s’arrêta devant une station d’essence à la sortie de la ville.

 Il engagea sa carte bancaire, attendit que s’inscrivent les indications habituelles, puis composa son code…

Mais la carte fut rejetée…

Alors, il perdit pied, tout à fait brutalement. Une fulgurante douleur lui vint dans la tête, il vit un éclair blanc, puis un brouillard lumineux se forma avant de se déchirer en s’ouvrant sur un monde qu’il ne reconnaissait plus.

Il se mit à taper de ses poings, de ses pieds, et même de sa tête, sur l’appareil de distribution de carburant, comme si dans un réflexe de rage, l’appareil était soudain devenu pour lui une sorte d’être cauchemardesque à détruire.

Lorsqu’il reprit conscience il se retrouva dans une chambre d’hôpital aux murs blancs, et tout de suite, ce qui le surprit, ce furent ces barreaux métalliques aux deux fenêtres de la chambre. Alors il comprit ce qui lui était arrivé et il pleura… Deux mois plus tard, il se retrouva dehors, marcha vers la gare, acheta un billet de train, et se rendit dans le village de ses parents.

Toute sa vie serait ainsi, désormais : une pension d’invalidité, quatorze comprimés à prendre en six fois dans la journée, neuf heures de sommeil obligatoires… Et ces effets secondaires dont on lui avait parlé : difficulté à s’exprimer, à former des mots et des phrases, prise de poids, regard fixe et absent…

 Et c’est ce qui arriva, en effet. Jusqu’au jour où l’on lui proposa un nouveau traitement. Alors il put à nouveau s’exprimer normalement, se sentit moins dépendant des personnes qui devaient s’occuper de lui et gérer ses affaires…

      Il devint pieux, affectionna les rassemblements religieux, entra dans les églises, se mit à prier sans cesse, à ne lire que des ouvrages religieux, des vies de saints, voua un culte à la Vierge Marie…

A tel point que rien de ce qui n’était pas de la religion ne l’intéressait plus du tout…

Il acheta un vélo et se mit à courir les routes autour de son village puis dans la région, vêtu d’une couverture serrée à sa taille par un long cordon, et coiffé d’une capuche. Quelque temps qu’il fit, vent, pluie, neige, il courait les routes du pays, déposant sur le rebord des fenêtres des maisons, des chapelets qu’il confectionnait.

 On le surnomma « le pieux routard ».

 Il « péta un nouveau câble »… Pour un maillon de chaîne de son vélo, qui se rompit alors qu’il devait encore s’acheminer vers trois maisons isolées situées de l’autre côté d’un bois tout proche.

 On le retrouva nu, en transes, et frappant son vélo à coups de chapelet…

La chambre d’hôpital était bleue, il n’y avait pas de barreaux aux fenêtres… Et, des quatorze médicaments, il n’en restait que six à prendre… Dont une drôle de gélule qui brillait dans l’obscurité comme un ver luisant, parce qu’il ne devait avaler ce médicament qu’après s’être mis au lit et avoir éteint la lumière.