Elle se savait très belle et se régalait de son visage, debout devant la glace de la salle de bains, humant ses intimités habillées de ses états d’âme, passées de sa déchirure à ses doigts… Sur ses cheveux, sur ses épaules nues, sur la trace humide de sa joie imprimée sur la glace, elle se gavait de ce qu’elle ressentait du plus intime de son regard. Elle aurait voulu violer son regard, entrer dans son visage, jouir au plus profond de son âme et vibrer comme les ailes d’une mouche posée sur une goutte de sang. Elle s’évanouit, de ce raid d’elle-même d’une violence inouïe…

     Il était là, il la soulevait, l’aidait à s’asseoir. Il était son frère adoré, moche comme un pou, avec des bajoues et des poches sous les yeux. Il ne bandait que dans les foulards et les écharpes mais sa sœur ne se ceignait jamais le cou ni les épaules d’une de ces flammes de soie qui le mettait en transes.

--« Qu’as-tu, Catherine ? »

 --« Rien, Arthur ».

La mouche, lourde dans la moiteur de la salle de bains, battait la vitre.

 --« Tu sens fort, Catherine ! »

 --« Ah, tu trouves, Arthur ? Et si ça plaisait à la mouche ? »

Elle regarda son frère. Elle ne connaissait pas de garçon aussi laid que lui. Sa laideur l’émouvait, elle était très gentille avec son frère. La mouche se posa sur sa main. Elle ne la chassa pas, perçut son cheminement léger, presque électrique, jusqu’à l’extrémité de son index. La mouche s’arrêta, puis, comme assouvie et détendue après une faim prédatrice, elle s’envola et se lova dans un pli sur une chemise de nuit suspendue à la poignée de la fenêtre. Elle but le regard de son frère comme elle venait de boire, tout à l’heure, le regard de ce vieil homme voûté et sale rencontré sur le trottoir d’en face. Ce regard lui plut : il était ce regard qu’elle inventait de l’autre, ce regard qui ne pouvait que rêver d’elle… Et plus ils étaient moches, timides, secrets, ces garçons dont elle inventait un regard décrassé, fou de joie, plus elle désirait ce rêve de l’autre qu’elle imaginait assoiffé de son visage et qu’une laideur gluante confinait dans une solitude dont elle souhaitait respirer l’intimité.

 Mais Arthur ne rêvait pas de sa sœur. Il l’aimait tout simplement.

La bandaison ne venait que dans les flammes de soie, douces et délicates comme des visages de petites filles. Mais la peau des visages de petites filles n’est pas une flamme de soie et Arthur le savait, le sentait jusqu’à la moelle de ses os lorsqu’il en caressait longuement les plis, l’étoffe, s’en pénétrait de cette « essence » dont il était si amoureux : l’essence d’une indéfinissable féminité.

 Parce qu’elle inventait le regard d’Arthur, un regard rêvant d’elle, Catherine ne vivait que de ce regard inventé. Parce qu’elle n’achetait jamais de foulard ou d’écharpe, Arthur se demandait bien, parfois, si le visage de sa sœur n’exploserait pas en lui de toute l’essence de cette indéfinissable féminité en flamme de soie nouée autour de son cou…

Le jour où elle ferait cet achat dont il rêvait Les deux rêves se croiseraient alors, se toucheraient sans s’être déclarés l’un et l’autre.