Je me souviens de ce jour, le 9 septembre 2000, où la FALEP, un organisme culturel dans le département des Landes, organisait « la nuit de l’écriture »… Au « moulin de Carremonge » à Lesperon.

Aujourd’hui dans les Vosges, ce 9 septembre est aussi beau, aussi bleu et aussi chaud que ce samedi 9septembre 2000 dans les Landes. Et la nuit qui s’annonce, si elle ne sera pas celle de l’écriture, aura la même lune, la même douceur, un ciel aussi étoilé, et elle ressemblera, comme celle qui enveloppait le moulin de Carremonge, à ces nuits d’Algérie que j’ai connues dans mon enfance.

La commune de Lesperon eut un grand mérite, à mon avis, cette année là, de recevoir sur son territoire et avec le soutien de sa municipalité, les responsables de cette manifestation littéraire. Le comité des Fêtes se mit « en grands frais », tant pour la publicité que pour l’intendance, l’organisation, la buvette, le buffet…

Lorsque l’on sait que la commune de Lesperon mise tous ses espoirs sur l’équipe locale de Rugby (qui fut champion de France en 1999)… et mobilise l’essentiel de son activité autour du rugby, on peut dire que le mérite d’avoir accueilli cette manifestation littéraire est d’autant plus grand. Contre toute attente, cette « nuit de l’écriture » eut encore plus de succès que les années précédentes en d’autres communes des Landes… Il est vrai que la nuit était fort belle et tiède comme une nuit de juillet quand souffle le vent d’Afrique.

Un énorme « 4X4 » pleins phares allumés, au carrefour de la route de Linxe et du chemin menant au moulin, arrosait de la lumière de ses yeux de géant, l’entrée du chemin chaotique entre des buissons épineux.

Le moulin, transformé en quartier général, et dont les pièces habitables étaient occupées par des tables, des ordinateurs et des machines à écrire ; faisait également office de lieu d’accueil. De jeunes et jolies demoiselles, des femmes très bien habillées au visage typé, recevaient les participants et les spectateurs avec gentillesse et émotion…

Tout autour du moulin avaient été aménagés des ateliers d’écriture : une table ronde recouverte de papier blanc, quelques chaises de jardin, un grand pot à résine empli de sable avec des bougies plantées dedans, et des crayons et du papier…

Nous fûmes conviés, à chacune des tables de participants, à lire les sujets proposés, et nous pouvions, individuellement ou en groupe, écrire sur le sujet choisi, un texte d’environ deux grandes pages.

Puis nous attachions nos feuilles enroulées autour d’une branche à proximité…

Les œuvres, une fois rassemblées, étaient examinées par un « comité de lecture », puis, pour certaines d’entre elles, enregistrées sur des fichiers informatiques. A cet effet « pianotaient » sur des claviers d’ordinateurs, de jeunes bénévoles.

Le destin de ces textes était de servir un jour à des artistes ou à des comédiens qui s’en inspiraient pour créer des spectacles, des pièces ou des sketches. Ces artistes et ces comédiens étant ceux de « Chantons sous les Pins » ou de troupes sous l’égide de la FALEP. Et le « clou de la soirée », après l’épreuve de rédaction, c’était la lecture des meilleurs textes sélectionnés par le comité de lecture. L’on s’asseyait alors, en cercle, autour de la personne chargée de lire les textes à haute et intelligible voix.

Je vous fais grâce des applaudissements.

En cet été là, je demeurais dans le logement de fonction de la Poste, à Lesperon, depuis le 1er février 1999 date à laquelle je suis arrivé dans le département des Landes pour y vivre les six dernières années de ma « carrière » professionnelle… Lors de ces jours de septembre particulièrement beaux et chauds, je recevais Roger Darmon, l’homme qui fut durant 23 ans le compagnon de ma mère décédée le 26 Août 1984.

Roger, à ce moment là, venait de terminer une cure à Dax, et avant de regagner Perpignan où il demeurait, il a donc passé quelques jours chez moi. Et ce soir du 9 septembre, je lui ai proposé de m’accompagner à la « nuit de l’écriture ».

Je dois préciser que mon invitation pouvait lui paraître totalement inintéréssante : en effet Roger n’a jamais été de sa vie un « littéraire » ! Il est né le 7 janvier 1919 à Berrouhaguia en Algérie, et quand il a passé sa 3ème partie de BTS, il avait obtenu 20/20 en dictée, 20/20 en maths, 20/20 en Sciences… mais 1/20 en composition française ! Le sujet ne l’avait pas du tout inspiré ( c’était sur la mode ). Champion en orthographe et en grammaire, il détestait cependant développer des idées, réfléchir sur des sujets de philo… C’était un homme d’action, de communication (de « tchatche »)… Il ne fallait pas le « bassiner » avec des « grandes idées » et des discours !

Sa voix, avec son accent d’Algérie, résonne encore dans ma tête, trois ans après sa disparition, le 8 février 2003 à l’âge de 84 ans.

A sa façon, je peux dire que Roger fut un « monument » ! Il avait une manière de s’exprimer, tout en images, en anecdotes, et très humoristique ! Et c’est vrai qu’avec un tel personnage, l’on n’avait pas besoin de s’appesantir sur des états d’âme : il avait tout compris par le regard et par la voix, par le geste, par la tête que t’avais… avant même que tu aies commencé d’expliquer ! Et avec cela, toujours le mot pour rire ! Avec lui, on ne s’ennuyait jamais ! Avant notre départ d’Algérie le 22 mai 1962 (j’avais 14 ans), Roger exerçait le métier de directeur d’école d’un groupe scolaire à Baraki (banlieue d’Alger).

Je fus donc très étonné qu’il accepte de m’accompagner à la nuit de l’écriture !

En fait, il s’est inscrit comme moi, en tant que participant, on lui a remis des feuillets, nous avons pris place à une table ronde sous la lueur de la bougie, et, chacun de notre côté nous avons « joué le jeu »…

Je n’étais pas particulièrement inspiré par l’un ou l’autre des sujets proposés ( je n’en ai d’ailleurs plus le souvenir)… Je venais de passer tout l’été 2000, depuis juin, à rédiger « VISAGES » sur 600 pages de carnets, d’une écriture serrée et tout petite… J’étais encore très imprégné de tous mes souvenirs, de tous ces personnages que j’évoquais dans « VISAGES ». Aussi, m’étais-je rendu à cette nuit de l’écriture davantage en spectateur qu’en acteur.



Je revois encore Roger, en « bon écolier » qu’il était redevenu, docile, presque humble, mais néanmoins de très bonne humour et enjoué comme à son habitude, attacher son « papier » d’une seule page, à une branche, après l’avoir enroulé…

Au « Grand Moment », celui où « plus un moustique ne volait », où les auteurs de textes, émus et emplis d’espérance, se trouvaient assis en cercle autour de la belle demoiselle tenant dans ses mains les textes sélectionnés, nous prîmes donc place, Roger et moi… Et nous écoutâmes…

Outre la voix de la charmante demoiselle lisant, l’on pouvait ouïr quelques propos de participants… et le lointain « cricri » d’un grillon ; suivre le vol d’un papillon, ou regarder un « ver luisant » entre les herbes d’un talus tout proche…