Au pays du Revermont, à Arbois, du jeudi 6 au dimanche 9 juillet 2006, se déroulèrent donc les Petites Fêtes de Dionysos…

Autour du thème « Cuisine des Dieux, cuisine des Hommes », le programme s’est décliné en rencontres débats, lectures, expositions, ballades littéraires, dégustation de vins…

J’évoquerai pour l’essentiel les activités auxquelles nous avons participé, qui, il faut le dire, ne nous ont pas permis de dialoguer directement avec les auteurs invités, puisque l’on eût pu se croire en face d’un plateau de Bernard Pivot, spectateurs attentifs certes, mais « exclus » des débats… Il est vrai que nous étions fort nombreux dans la salle, et que les « invités de marque », étaient « bien entrepris » par leurs interlocuteurs… Mais passons ! Ce furent des moments sublimes, d’élévation de pensée, de réflexion, de découverte de cette littérature contemporaine de la seconde moitié du 20éme siècle…

Le jeudi 6 juillet, à partir de 19heures, et ce jusqu’à une heure avancée de la soirée, nous eûmes une dégustation de trois vins différents, dont le fameux « vin jaune ». L’on nous avait remis un verre, nous étions assis dans la salle, et l’on nous servit quelques « rasades », non sans nous avoir au préalable initiés aux « secrets de la dégustation », aux différentes techniques de production… Puis, Roger Miremont et Laurence Mayor, des comédiens, nous lurent des extraits d’Au Piano, de Jean Echenoz, et le Prologue du drame de la vie, de Valère Novarina.

Le vendredi, au domaine de La Pinte, nous participâmes, toujours en spectateurs « non conviés à intervention », à une rencontre débat avec John Berger et Maryline Desbiolles…

Un petit mot sur John Berger : il est né à Londres en 1926… Son dernier livre « D’ici là », éditions de l’Olivier, se fonde sur le pouvoir de l’imagination littéraire, le récit sur la mémoire des lieux, des visages, des sensations, et la création qui mêle passé et présent, l’ici et l’ailleurs… En bref, John Berger est un artiste et un penseur.

Maryline Desbiolles est née en 1959, vit dans l’arrière pays Niçois. Elle écrit dans la pudeur et nous dit que nos vies sont fragiles…

Au cours de la soirée rencontre du samedi avec Jean Echenoz et Gérard Macé, nous fûmes conviés –pour la modique somme de 22 euro- au château de Chavannes à Montigny les Arsures, pour un « grand buffet gastronomique » qui n’était en réalité composé que de « petits plats » dans de tous petits plats… Le vin était « en sus »… et d’un prix « mignon »… Nous dûmes « faire la queue », comme lors d’une distribution de « soupe populaire » avec notre assiette vide. C’était « assez surréaliste » en un tel décor, avec, en arrière plan, Jean Echenoz (prix Goncourt en 1999 rappelons le)… devisant en toute intimité en compagnie de l’un de ses interlocuteurs…

A la fin de cette soirée, nous n’étions plus que quelques groupuscules attardés, dont nous-mêmes, les membres d’Alexandrie… et Jipi, de Passion des Mots, engageant une petite conversation avec John Berger… Retentit à ce moment là une salve de claquements de bancs : c’était aussi assourdissant qu’un démontage de gradins de cirque ! Il était temps que nous nous esquivions !

Enfin le dimanche, pour la troisième fois nous « ratâmes » la promenade littéraire car les discussions que nous eûmes entre nous se prolongèrent fort tard dans l’après midi… Nous assistâmes tout de même à la soirée de clôture à l’espace Pasteur, avec un opéra parlé « Canal Tamagawa » composé et interprété par Fabrice Ravel Chapuis, pianiste ; Julien Amedro, violoncelliste ; et Frédéric Haffner, violoniste. Le texte fut lu par Philippe Adam.

Un mémorable repas, entre nous, eut lieu au restaurant « La Finette », alors que se déroulait la finale de la coupe du monde. Nous ne perçûmes du grand match ( sur écran panoramique dans l’autre salle du restaurant ), que d’houleux « flonflons »… et sans doute pas le retentissant coup de tête de Zidane… La France perdit, il y eut quelques fanas tournoyant en voiture dans les rues d’Arbois, et la dernière nuit fut sereine… douce comme un printemps Africain…

Le lundi matin, nous ne nous séparâmes qu’au-delà de midi…

Ces Petites Fêtes de Dionysos à Arbois, du 5 au 10 juillet 2006… furent-elles la raison essentielle de notre rencontre ?

Eussions nous été plus nombreux, oh, à peine plus… Aurions nous vécu ce que nous avons vécu ? J’ai dit que le vécu parfois, était plus beau que l’écrit. C’est pourquoi, cinq jours durant, je n’ai rien écrit. Je savais… J’ai toujours su… que les mots existaient déjà avant de naître.

C’était bien au-delà de tout ce que j’avais passé ma vie à rêver. Dans une telle fête de l’esprit et du cœur, il ne pouvait y avoir aucune ambiguïté. Seulement et totalement, ce partage d’émotions, cette sincérité, cette écoute de l’autre, cette simplicité, cette délicatesse, cette gentillesse entre nous…

Notre « Cénacle » entre ainsi dans la légende. Une légende vivante, éternelle, messagère… Les mots que nous nous sommes dits sont nos plus beaux écrits. Nos visages, nos regards, nos complicités, nos voix et nos mains se sont touchés… Nous étions comme des enfants et la brutalité du monde, avec ses égoïsmes, sa soif de pouvoir, ses mystifications et son obscurité ne pouvait plus nous atteindre.

Nous avons vu le ciel parce que nos cœurs étaient purs et nos esprits préparés. Les émotions les plus souveraines, si elles peuvent et doivent être exprimées, ne doivent pas cependant nous aveugler et nous enfermer dans une « bulle de roche »…

Il est trop de ces « piqûres d’héroïne » qui valent 20 fois l’acte d’amour mais dont les effets secondaires sont si dévastateurs !

Je crois que l’on est souvent éprouvé à la mesure de ce que l’on peut surmonter. Etre fort, c’est être et avoir été éprouvé. Nous avons tous, en tant qu’auteurs, écrivains, artistes, en particulier, des parcours chaotiques, des expériences difficiles, de la gravité, de l’émotion, du drôle et du tragique dans nos vies… Mais aussi des aspirations, des besoins fondamentaux, des « obscurités », des motivations tout à fait personnelles, une part « d’ingérable » en nous, tout cela faisant de nous l’Etre que nous sommes… Et c’est avec tout cela d’ailleurs, que nous disparaissons un jour, dont il ne reste que la « chrysalide » suspendue dans le souvenir…

Cependant, nous pouvons ensemble, aussi différents soyons nous, le trouver…ce « passage du Nord Ouest »… que les glaces et les brumes nous ont caché…

« La porte du bonheur est une porte étroite », dixit (ou plutôt singing) Jean Ferrat…

Il est aussi de ces feux—et ceux là sont les plus nombreux—qui courent tels des feux de brousse. Ce sont les feux de la rumeur, de l’opinion, nourris de tout ce que l’on y jette dedans… Et dont les cicatrices noires sur un paysage brûlé ne s’effacent jamais… Il en est d’autres, de ces feux, que l’on nourrit et perpétue autour d’un même foyer, dans un même campement, entre les mêmes visages et les mêmes complicités… Ceux là ne vont pas dans la brousse mais ils nous retranchent du monde alors que le monde parfois, nous tendrait bien la main.

Il ne faut pas faire de ces feux un refuge, une forteresse de lumière pour les seuls « élus » que nous pensons être mais ne sommes pas vraiment. Je crois qu’une « civilisation » viendra un jour de ces feux là mais il faudra pour cela qu’évolue notre regard, et toute cette relation, ce rapport à l’autre, ces émotions, cette « transparence » si belle en nous, encore si embryonnaire, si fragile, si fugitive…