J’avoue avoir été dérouté et même bel et bien perdu, dans cet univers où les vivants et les morts communiquent entre eux. Et cela de la première à la dernière page de ce livre absolument étonnant… Mais aussi très émouvant.

Cet univers là, dans lequel existe une « passerelle relationnelle » entre les vivants et les morts ; m’est totalement étranger.

Dans l’expérience de la vie que je traverse, je n’ai jamais senti la moindre manifestation concrète, et donc crédible, de l’existence de cet univers.

Ainsi j’ai aimé ma mère, mon père, et bien d’autres personnes qui aujourd’hui n’ont d’existence que dans ma mémoire, sous la forme d’images et de souvenirs défilant tel un film sur un écran. Certes le film est précis, les images, les scènes, les paroles des uns et des autres, les évènements particuliers, les situations… Tout cela est aussi net, aussi animé, aussi perceptible qu’un paysage d’hiver, de printemps, d’été ou d’automne bruissant sous le vent, traversé de pluie ou de soleil, habité d’oiseaux, de gens dans des maisons… Aussi réel donc, que ce paysage déroulé ce matin devant moi, en ce moment même où j’écris ces lignes, assis sur le banc dans le jardin de ma maison à Tartas.

Cependant, ma mère, mon père et toutes les personnes que j’ai aimées ; je ne puis les toucher, ni poser ma main sur leur visage, ni sentir le petit souffle de leur respiration tout près de moi. Ma mère n’est pas assise sur le banc à mes côtés et je ne la vois que comme dans un rêve… Ou dans un film dont je me souviens par cœur.

C’est cela, la réalité de l’expérience de la vie que je traverse. Mais il est une autre réalité intensément vécue, qui me trouble. Et en ce sens, je puis dire de la relation entre les personnages du livre de Mary-j-Dan, par ce qu’elle a de « virtuellement vrai », de quasiment physique, entre, précisément, ces vivants et ces disparus ; que cette relation là me renvoie à tout ce que je ressens moi-même d’êtres qui ne sont pas physiquement présents à mes côtés, mais dont je perçois la respiration, le regard, l’odeur ; dont j’entends les voix et que je pourrais même toucher, étreindre, tant ce qui émane ou émanait d’eux me pénètre « non virtuellement »… J’ouvre ici une parenthèse à propos du livre de Denis Juanola « Virtualodrome », dans lequel il y est évoqué une combinaison « biorétractable » tout à fait « miraculeuse »…

Pour dire qu’une telle combinaison, en ce qui me concerne, me serait totalement inutile puisque j’arriverais par la seule « vie » de mon esprit, à éprouver aussi intensément que dans la réalité vraie. Mais il y a un « hic » ! Ma mère n’est pas assise sur le banc à côté de moi ; l’être qui me plaît, s’il est à mille kilomètres de moi, je ne puis l’étreindre et le sentir, et je vais aussi « toucher son absence »… Et, dans ce « toucher de l’absence, vient une émotion, un ressenti, une sorte de halètement intérieur, presque une frénésie, un délire, une « foudre de joie », enfin quelque chose d’infiniment agréable… Mais un peu désespérant !

Ainsi les Elus sont ou seraient ces êtres aimés que nous avons perdus par cet « accident de la vie » que l’on nomme la mort ; ces êtres que, dans l’espoir d’une « autre vie » après la mort, nous souhaitons tant retrouver et dont nous n’acceptons pas la séparation durant le temps qui nous est encore si aléatoirement imparti…

Et les Non Elus sont ou seraient ces êtres que nous avons méconnus, délaissés, oubliés, qui n’ont pas laissé de trace dans notre vie ; ou bien ces êtres dont l’existence nous paraissait banale, insignifiante, sans réalisations dignes d’intérêt ; ou encore ces êtres seuls, un peu égoïstes ou qui ont nui leur vie durant à leurs proches, à leurs semblables ?

Il y a dans cette différentiation entre les Elus et les Non Elus, quelque chose qui me gêne, qui me fait mal, et qui soulève en moi un certain nombre d’interrogations…

Je me dis que ces êtres là, les Non Elus, nous n’avons peut-être rien fait nous-mêmes pour les élire… Et pour les élire, il eût fallu je crois, les « exister » déjà ! Et par exister, j’entends que l’on eût existé ce meilleur d’eux-mêmes qui était en eux, ou tout au moins ce qui les différenciait des autres êtres et les identifiait…

Je te connais, Mary-j-Dan, par ton blog et par toutes tes contributions dans les forums d’alexandrie, quoique je ne t’aie encore pas rencontrée… Ce qui m’amène à dire qu’il est plus naturel et plus aisé de lire le livre écrit par une personne que l’on connaît, plutôt que de lire le livre d’un auteur que l’on n’a jamais connu ni vu, et dont les œuvres sont commentées dans les journaux, vendues en librairie. L’histoire d’amour entre Prudence et Stéphane est, certes, à mon avis (et je ne dois pas être le seul à le dire) un peu « fleur bleue ». Mais ce n’est pas pour déplaire au « romantique » que je suis… Sans doute à l’excès. Ces états d’âme, ces dispositions du cœur qui, au temps de George Sand et de Gustave Flaubert « faisaient florus » auprès d’un certain lectorat de la « bonne société » du milieu du 19ème siècle ; semblent de nos jours « passés de mode » auprès d’un lectorat qui, assez majoritairement, privilégie l’action, l’intrigue, la nouveauté, l’inédit…

Ton écriture, Mary-j-Dan, du moins dans Embarquement indirect, est, dirais-je « très littérairement correcte »… Et j’ajoute « sobre, classique et élégante », un peu comme ces robes de dame chic avec tout juste les volants qu’il faut, ceinturées au bon endroit de la silhouette, soit ni trop haut ni trop bas ni trop serré ; sans décolleté provoquant, niveaux genoux ou joliment déstructurées ; nuque et épaules nues… Et bien sûr, le visage qui va avec…

Je dirais de ce style qu’il me fait toujours « craquer » ! Et que je le préfère de loin à tout ce qui est « falbalique », « effet-spécialique »… Ou outrageusement voyareuriste.

Je déplore, mais cela ne m’a guère gêné dans la mesure où nous y sommes tous assujettis, quelques formules trop couramment liantes (comme ces mêmes ingrédients habituels que l’on utilise dans la plupart des préparations culinaires). J’en cite quelques unes :

« Attends voir…Inconnu au bataillon celui là ! » page 86 « Toujours sur mon petit nuage » page 88 « La nuit porte conseil » page 91 « Avaient laissé échapper, tel un compte gouttes » page 131 « Allez-y, jetez vous à l’eau » page 134 « A côté de la plaque, le toubib ! » page 144 « Stéphane était aux petits soins pour moi, j’étais follement amoureuse » page 146 « Taratata ! Laisse la vivre sa vie de jeune fille » page 91 … Quoi que, prises dans le contexte et surtout dans l’atmosphère du récit, de telles formules en vérité sporadiques, soient plutôt assimilables au grain de sel, au clou de girofle, jeté dans le « bon pot au feu »… En conclusion ma note sur alexandrie est HUIT sur DIX, pour cette œuvre…

J’ajoute, à titre tout à fait personnel (et cela n’engage que moi) que, selon mon échelle (l’échelle « Yugcibienne ») ma note est SEPT…

Ce qui, en clair, veut dire, que le 7 de Yugcib, est peut-être plus « honorifique » si j’ose dire, que le 8 amplement mérité selon l’échelle d’alexandrie (qui est, rappelons –le, une vraie référence)…