Un Christ de plâtre ou de terre cuite sur sa croix de pierre, nu, rose et craquelé, couronné de ronces desséchées, à la poitrine percée d’une plaie aux lèvres éclatées… Entre deux villages Landais à la croisée d’une route et d’un chemin.

Et derrière ce Christ vieilli, usé ; s’étire à perte de vue jusqu’à l’Adour, jusqu’aux collines de Monfort et de Mugron, un immense champ de maïs qui, à cette période de l’année au mois de juin, vire en quelques jours à peine du brun chaud de la terre au vert tendre des jeunes pousses…

Les gros engins agricoles aux longues dents cisaillantes et au ventre coffre bourdonnant, ne sillonneront cette immensité qu’en octobre, alors que les épis mûris se balanceront à hauteur d’homme sous le soleil d’automne. Et les épis seront avalés, le grain sera déversé dans le ventre de la grosse bête mécanique au long cou rouge… Il ne restera plus de ce champ immense qu’une vaste cicatrice rectangulaire hérissée de milliers de grosses épines cassées ; et rayée en profondeur aux passages des roues des engins.

Et dans cette cicatrice démesurée renaîtront au printemps suivant les jeunes pousses vertes à l’infini. Aujourd’hui en ce début de juin, poudroie de lumière un ciel d’été traversé d’une longue trace blanche, silencieuse et lointaine : c’est un grand ver aérien qui propulse le point de lumière de sa tête de comète argentée en avant, vers ces profondeurs du ciel inaccessibles au regard humain.

Tout près du Christ rose et craquelé, au bord de la petite route reliant les villages de Vic d’Auribat et de Saint Jean de Lier, s’élèvent deux entonnoirs géants accolés à un hangar aussi haut qu’une église.

Vingt ans plus tôt sur cette route qu’en vélo je parcourais… Tout comme aujourd’hui d’ailleurs ; s’étendait une forêt de pins, et les champs de maïs alors, dispersés aux alentours, n’étaient que des parcelles bordées de haies.

Et le Christ rose sur sa croix de pierre était planté sur un talus, et deux chemins de terre se rejoignaient ici même où je m’arrêtais, non pas pour dire quelque prière mais pour un petit pipi…

Encore vingt ans de plus au-delà de ce jour de juin en l’an de grâce 2007… Et quelle sera alors la couleur du ciel, quels engins traverseront et le ciel et la terre, et que poussera-t-il dans le champ jusqu’à l’horizon ? Le Christ rose et craquelé sur sa croix de pierre sera-t-il là encore ?

… Peut-être un abri de bus tout tagué ou couvert d’affiches publicitaires, en bordure d’un grand lotissement ruralement urbanisé…