Quand Antoine s'emmêle

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Le blog de Jérôme Nodenot

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jeudi, août 21 2008

"Les portraits", et "La forêt", de Frédéric Vasseur

"Les portraits" est l'histoire d'une jeune fille et de son amant massacrés tandis qu'ils s'apprêtaient (j'imagine) à vivre (ou même consommer) leur relation illégitime aux yeux des gens "honnêtes" ; tout cela sous l'oeil horrifié d'un peintre qui éternisera le couple dans l'un de ses tableaux ; ensuite nous effectuons plusieurs bonds dans le futur pour arriver à aujourd'hui, et suivre les tribulations de ce tableau (je n'en dis pas davantage).

"La forêt" est une sorte de palimpseste, superposant la vie d'une forêt d'autrefois (avec sa faune et sa flore) à la ville bétonnée qu'elle est devenue par la suite. J'ai ressenti un vrai sentiment poétique en lisant ce texte, quelque chose d'assez magique.

Dans les deux cas, les êtres du passé restent présents, grâce à l'art (celui du peintre dans le premier texte, et celui de l'écrivain dans le second). "Les portraits" et "La forêt" pourraient donc avoir pour argument le rôle de l'art (et de la littérature en particulier), qui seul permet d'immortaliser la poésie des êtres du passé (rôle que ne jouent pas les recherches historiques, notamment). C'est déjà un aspect essentiel de ces deux contes, mais je tiens surtout à insister sur la poésie qu'ils parviennent à faire passer sur le lecteur, difficile à expliquer, un sentiment d'éternité, ou quelque chose dans le genre. J'ai l'impression d'avoir déjà ressenti cette émotion ; était-ce dans un livre ou un film (et alors les thèmes abordés ici ne seraient pas vraiment originaux, ce qui d'ailleurs ne gâcherait rien à l'affaire), ou bien parce qu'elle est intrinsèquement liée à l'homme ? Peu importe, en réalité.

A lire dans le recueil "Fragments", en téléchargement gratuit sur Alexandrie Online.

vendredi, août 8 2008

"Les Veilleurs", de Frédéric Vasseur

Je viens de terminer "Les veilleurs", premier conte de l'ouvrage "Fragments", de Frédéric Vasseur. Entre fable et science-fiction, les chats ont la parole ; je ne suis pas sûr qu'ils soient aussi altruistes et solidaires dans la réalité, mais peu importe : ils nous donnent ici une sacrée leçon (c'est en cela aussi que je parle de "fable", puisqu'une morale existe, bien qu'allusive). Je constate que dans "Les veilleurs", les gentils (qu'il s'agisse des chats ou des extraterrestres bienveillants) ont tous cette capacité à établir entre eux une connivence extra-lucide, par une sorte de télépathie, ils profitent tous des expériences vécues par chacun d'entre eux. Les hommes, au milieu, sont bien vivants, mais leur rôle est plus que secondaire : ils subissent sans être capables de rien comprendre, sans se solidariser autour du problème pour y faire face. La narration est efficace et l'imagination au rendez-vous. Je me plonge dans la suite de ces "fragments". Je me promets d'en reparler.

Téléchargement gratuit sur Alexandrie Online.

lundi, août 4 2008

"L'Ecume des jours" : le renversement des valeurs

Je viens de terminer la lecture de "La terre jusqu'au ciel" : mon intérêt n'a jamais faibli jusqu'à la fin. Je retiendrai quelques éléments dans les dernières pages : la contestation de l 'aspect autobiographique avec cet aparté concernant Estelle (le narrateur n'a pas eu de fille, il nous le dit, ce qui remet tout en question, comme l'a regretté une commentatrice de l'oeuvre) ; la confrontation de l'idéal communiste à la réalité africaine ; la mise en lumière de la portée philosophique à la toute fin ; et puis, bien sûr, le portrait tout au long du livre du personnage de Jeanne, une belle réussite et un très bel hommage.

J'ai commencé "Fragments" de Vasseur, et je me replonge dans "L'Ecume des jours" de Boris Vian, un de mes romans de chevet depuis l'adolescence ; j'axe ma lecture autour du thème de l'anti-conformisme, qui me réjouis ici ; deux exemples : "Chick devait aller tous les huit jours au ministère voir son oncle et lui emprunter de l'argent car son métier d'ingénieur ne lui rapportait pas de quoi se maintenir au niveau des ouvriers qu'il commandait." ; "Ma soeur a mal tourné, Monsieur, dit Nicolas (je rappelle que Nicolas dans "L'Ecume des jours" est cuisinier). Elle a fait des études de philosophie. Ce ne sont pas des choses dont on aime à se vanter dans une lignée fière de ses traditions...".

jeudi, juillet 31 2008

Jorge Luis Borges, ou l'utilisation du conte à des fins plus intellectuelles

Je repense au rêve final dans "La sagesse des Fouch", qui a troublé certains lecteurs. "La sagesse des Fouch" est un roman assez court, et limité dans le temps (j'imagine deux ou trois mois) ; c'est un peu l'histoire de la prise de conscience d'Antoine au contact des Fouch, ce qui d'un point de vue diégétique rapproche mon texte de la nouvelle. Dès le départ, pourtant, je savais que je voulais faire mourir mon héros (même symboliquement) ; j'ai donc eu l'idée de ce rêve que je suis sensé avoir fait en tant qu'auteur-narrateur (puisque je suis aussi l'un des personnages du roman), qui résume un peu ma façon personnelle de ressentir les Fouch tout en donnant me semble-t-il une profondeur temporelle à l'ensemble (comme si mon livre de 150 pages avait raconté finalement toute la vie d'un homme). Mon premier intérêt était donc d'ordre spatio-temporel, narratif. Dans mon rêve, il fallait que Fouch reste fidèle à lui-même, dans sa propension à jouer des tours au système, dans son anti-conformisme et son espièglerie. Ici, la victime en sera le présentateur du journal de 20 heures. Je souhaitais également que la tension sexuelle du livre transparaisse, d'où "mon" aventure d'un soir avec une fille membre de la secte. Il y a tout de même un sens facilement repérable dans ce rêve : la secte dont Fouch est le gourou a la particularité d'être ironique, c'est-à-dire qu'elle ne croit pas en ses préceptes et ne les applique que pour montrer au monde ce qu'il est, avec tous ses défauts ; en particulier la mondialisation et l'uniformisation des cultures qui va avec. Pour le reste, nous pouvons (et moi le premier) imaginer d'autres sens possibles. Dernier petit secret concernant ce rêve final : j'ai tenté, au niveau du style, de parodier la manière de Jorge Luis Borges, l'un de mes écrivains préférés.

De Borges, Calvino écrit que l'on a reconnu en lui "une idée de la littérature comme monde construit et régi par l'intellect". Il ne s'agit plus de réalisme pour dire le chaos incompréhensible de nos sociétés , mais bien de parler de l'homme et de l'univers à la manière d'un enfant qui jouerait avec les romans d'aventure et les contes policiers pour en faire des instruments de complexité intellectuelle ; Borges, dans ses contes (que l'on appelle quelquefois "métaphysiques"), apporte une connaissance de l'identité humaine universelle (qui fonctionne dans tous les contextes socio-économiques), et c'est en cela sans doute qu'il me fascine ; avec aussi cette capacité qu'il a , mine de rien, de parler de lui (aspect autobiographique), ce qui fait que peu à peu il devient presque comme un ami, un auteur très attachant. Il aura surtout, à mon avis, permis l'avènement d'une autre conception de la littérature en montrant l'importance de Stevenson, Lewis Carroll, Chesterton, Edgar Poe, etc., tous ces écrivains qui ont marqué notre enfance et qui souvent n'étaient pas reconnus comme de "grands" écrivains.

On dit toujours que l'on écrit les livres que l'on aurait aimé lire. J'ai entendu récemment sur France Inter un écrivain (j'ai oublié son nom, hélas, je sais toutefois qu'il est publié chez Stock) donner une autre définition de l'écriture : "un enfant adore écouter les histoires que lui lit sa maman avant de s'endormir ; eh bien, un écrivain est un homme qui n'a plus sa maman, et qui du coup s'invente ses propres histoires" ; bien sûr, c'est un peu gnangnan et médiatique, comme il se doit, mais l'idée en soi ne me déplaît guère : en ce qui me concerne, j'aime à tenter de retrouver dans ce que j'écris les émotions de mon enfance, ou de mon adolescence. Un jour, alors que j'étais encore très jeune et par conséquent un peu prétentieux, j'ai découvert Borges, et je me suis dit : si lui parvient à fabriquer de la grande littérature en utilisant les procédés de la littérature populaire, pourquoi pas moi ? Depuis j'ai découvert d'autres auteurs contemporains appartenant à la même lignée : Calvino, Paul Auster, Umberto Eco, Garcia Marquez, notamment. Il y a aussi de grands auteurs français (plus anciens) : Rabelais, Voltaire, Diderot, etc.

Pour ce qui est de l'art de la narration, en tous les cas, ce sont eux qui peuplent mon petit territoire littéraire personnel, c'est certain. Avant d'être (je l'espère) plus que cela, "La sagesse des Fouch" est d'abord un conte libertin, "L'alphabet d'un paradoxe" (qui devrait bientôt s'appeler "Le roman de Baptiste") un conte policier ; quant à "La vie extraordinaire d'Adam Borvis", l'influence du conte est encore plus évidente.

jeudi, juillet 24 2008

De la Terre jusqu'au Ciel : Georges Réveillac 1

Je découvre depuis quelques jours ce roman, et j'éprouve une sorte d'émerveillement. Il s'agit d'une éducation sentimentale, mais qui sait toucher à l'universalité, à une conception, j'ai envie de dire, panthéiste du monde. L'amour est au centre, mais ensuite nous accédons à une espèce de roman total, dans le genre de ceux susceptibles de changer la vie. Le style y est pour beaucoup : un équilibre subtil entre poésie, sobriété et sagesse. Non, franchement, je découvre Georges Réveillac avec grand plaisir. L'aspect autobiographique me semble évident, et je pense notamment aux romans de Jean Rouault, notamment "Des hommes d'honneur", jusque dans l'apparition d'une deux chevaux, source d'humour pour l'un comme pour l'autre. Comment rendre intéressant pour un lecteur lambda et anonyme le fait de raconter sa vie ? En stylisant, à travers l'humour, en parvenant à rendre attachants des personnes réelles devenant ici de véritables "personnages", en sachant mettre le doigt sur ce qui fera mouche, comme dans la "menuiserie" de Garcia Marquez, qui lui aussi prétend que l'on peut TOUT dire de manière divertissante. A suivre.

Il faudrait que j'arrête de me disperser dans mes lectures, mais les tentations sont sans pitié : je viens de recevoir (hier), le roman en version papier de Heckers : "Vous autres", dont j'ai lu le début : le bonhomme semble fidèle à lui-même, l'un des meilleurs d'entre nous, prolifique, d'une constance énervante pour ce qui est de la qualité de ce qu'il produit. Presque écoeurant.

mercredi, juillet 23 2008

La descente - Patrick Lanoix

"La Descente", ou comment mettre des mots sur une souffrance que nous avons tous ressentie (hélas) sans avoir pu l'exprimer clairement. Un texte qui pour moi s'apparente à un poème, puisque sa qualité ne vient pas seulement du contenu, mais aussi de la manière de dire (des images, des tournures, et toujours une certaine beauté du style). Enfin, l'"Ennemi intime" c'est à mon sens la facilité réconfortante du cynisme, qui nous guette dans une société souvent avilissante et dont il faut pourtant se défendre sous peine de tomber dans la cruauté et la détestation de soi.

Un caprice qui coûte cher - Nicole Despinoy

Dans ce petit conte illustré, Lise apprend que l'on ne peut exister qu'en créant une véritable interaction avec les autres, et non en ne regardant que ses propres intérêts, son nombril. Ce n'est pas de sa faute, étant trop "gâtée" elle est capricieuse mais, si elle parvient à ses fins facilement avec ses parents grâce à cette méthode, les choses deviennent plus compliquées avec des éléments extérieurs (ici, en l'occurence, un petit chien). Cet enseignement ne se fait pas par une leçon de morale ou un sermon, mais en situation, rendant une efficacité supérieure. Les contes sont écrits pour les enfants, bien que les adultes devraient les lire plus souvent : eux aussi ont souvent tendance à ne regarder que leurs propres intérêts, à ne pas prendre le temps d'écouter les autres, à considérer les gens comme des jouets dont il faut obtenir quelque chose. C'est pour cela que les contes doivent être lus par tous : ils nous enseignent ces petits riens de la sagesse universelle qu'il est toujours bon de retrouver quand on s'est un peu perdu.

La goutte - Eleken Traski

Julio Cortazar disait en substance que le fantastique peut se rencontrer n'importe où pour peu qu'on sache le reconnaître. Ici, nous partons de quelque chose d'anodin : une simple goutte d'eau coulant le long d'un verre, qui prend des proportions démesurées. L'intérêt de cette petite nouvelle tient selon moi à cette ambiguïté : nous ne savons pas si la goutte est à l'origine elle-même des conséquences désastreuses qui s'ensuivent, ou s'il s'agit d'une névrose destructrice qui s'empare du narrateur à la vue de cette goutte. Un seul bémol : l'écriture aurait mérité peut-être davantage de visuel pour donner un cadre plus précis au lecteur ; cependant, d'un autre côté, cela participe à la dimension hallucinatoire du texte, comme si nous nous trouvions dans un rêve, ou plutôt un cauchemar. Petit bémol, donc. Encouragements à l'auteur pour achever ses autres productions.

Coralie a tout compris - Nicole Despinoy

Nicole, ce texte me paraît encore plus réussi que le premier ; il est un peu à la nouvelle ce que le premier était au conte. L'interprétation est plus limitée, plus prosaïque, la symbolique est moins vaste ; mais le réalisme dans le détail, la précision de l'écriture en font une très bonne nouvelle pour petits et grands. On est étonnés de la maturité de cette enfant de neuf ans, de la manière avec laquelle elle s'occupe du bébé chat, de comment elle réfléchit aux choses de la "vie" ; enfin, de sa stratégie imparable pour obtenir un animal domestique (je crois que sa mère n'a rien vu venir, et moi non plus d'ailleurs !). J'ai hâte de découvrir votre prochain ouvrage.

Au pays des Guignols gris 1 - Guy Sembic

Je suis toujours admiratif de voir comment certains écrivains sont capables d'imaginer minutieusement, dans les moindres détails, tout un univers ; c'est ce que réalise ici Guy Sembic, avec cette chronique de l'espèce humaine dans un lointain futur. Si la structure de l'écorce terrestre a beaucoup évolué durant toutes ces années (il n'y a plus que trois grands continents, par exemple), en revanche nous constatons que l'histoire de l'Homme a plutôt tendance à n'être qu'un éternel recommencement (Nietzsche parlerait d'"éternel retour"). D'où le titre de l'ouvrage, et la formule : "Le pays des guignols gris, c'est le pays de toujours et de partout, le pays où l'on a vécu, hier, le pays où l'on vit aujourd'hui, le pays de demain... Même si la Terre devait changer de visage". Voilà selon moi la première idée intéressante du texte, comme un certain effet de miroir avec notre époque. Ensuite, cela m'a rappelé, avec cette description méthodique, détaillée, de la société envisagée par l'auteur, "L'Utopie" de Thomas More ; sauf qu'il s'agirait ici d'une utopie à l'envers, puisque le monde n'est pas présenté comme idéal, loin de là. Sauf, surtout, que si le livre de More n'est qu'une sorte de traité politique, celui de Sembic est beaucoup plus humain, avec les apparitions ici et là de personnages attachants qui donnent des couleurs à l'ensemble (je pense notamment à Azimaïna et sa fille Oyatola). Je pense que l'une des réussites du livre tient dans ce subtil mélange de matérialité précise et d'émotions furtives et fortes. Je reste (comme d'autres lecteurs apparemment) un peu dubitatif sur la fin, et en même temps peut-être que la rencontre d'extra-terrestres ferait aux hommes prendre conscience de la relativité des choses et leur permettrait de changer en arrêtant de donner autant d'importance à leur nombril. Mais de toute manière l'intérêt n'est pas là, mais d'être persuadé d'avoir envie de lire la suite. Ce qui est mon cas.

La bouteille - Eleken Trasky

Permettez-moi de commencer par une petite prière : Mon Dieu, faites que cette nouvelle ne tombe jamais entre les mains de ma fille lorsqu'elle sera en âge de lire. Amen. Pour le reste, l'horrible et le macabre ont aussi des possibilités artistiques, et dans le genre je dois dire que Eleken traski se débrouille plutôt bien. Même le plus grand spécialiste en film d'horreur frémirait à fréquenter ce texte. J'y ai aussi appris le comble du cynisme : un sapin de Noël décoré façon Boucher. Tout écrivain rêve que son lecteur puisse porter un autre regard sur le monde après l'avoir lu. Le style que s'est inventé Eleken Trasky est un moyen comme un autre pour y parvenir, après tout. Ames sensibles s'abstenir ; pour les autres, il est aussi possible de se délecter de "La bouteille", parce qu'en fin de compte on le vit comme un cauchemar tout en ayant conscience que c'en est un, donc avec le recul nécessaire pour l'apprécier et ne pas se sentir impliqué.

Au pays des Guignols Gris 2 - Guy Sembic

Dans la première partie du roman, nous avions une vision aérienne, disons géopolitique, du pays des guignols gris. Ici, nous entrons dans le vif du sujet en nous intéressant au cas d'Eridan, et à son voyage initiatique qu'il fait à vélo (en avalant les kilomètres à une cadence remarquable). Le monde que s'est imaginé Guy Sembic est toujours très concret, précis (dans la topographie des lieux, le vocabulaire pour les moyens de transport, etc.) ; il n'a rien a envier sur ce point à un auteur pourtant réputé pour cela : Maurice G. Dantec (la comparaison est flatteuse bien que par ailleurs ce dernier ne plairait pas sans doute à Guy). "Le Pays des guignols gris" c'est d'abord un univers, une atmosphère propre à son auteur, et il mérite d'être lu pour ce seul critère. L'aspect philosophique en serait selon moi la seconde raison : il existe bien une sagesse très particulière dans ce livre. Eridan (dont Guy Sembic-Yugcib avoue qu'il lui ressemble) ne peut exister qu'en allant au contact des autres, en les acceptant comme ils sont et en les considérant toujours comme des individus importants, capables de nous enrichir. Eridan préfère les Auberges de Jeunesse, les marginaux souvent, les atypiques, et nous faisons connaissance avec certains d'entre eux qui attirent notre attention et prennent vie sous nos yeux. Je rappelle la trouvaille de Guy Sembic qui résume bien cette attitude au monde : "s'exister les uns les autres", ou l'altruisme posé comme élément fondateur de la constitution du moi (jamais figé, toujours en éveil et à l'écoute). Le style est puissant, poétique, singulier, déjà repéré par plusieurs lecteurs, nul besoin d'y revenir ici. Je ne résiste pas enfin à vous donner en exemple ce passage, à la fois projet littéraire de tout le roman selon moi, projet philosophique, et qui vous donnera une idée du style. C'est Eridan qui parle, bien sûr : "Cela me vient de tous ces visages ... Quand je pense que l'aventure se poursuit dans le livre 3, quel enrichissement en perspective !

L'étoile des chiens - Jean-Christophe Heckers

Coleridge a dit un jour : "Si un homme traversait le Paradis en songe, qu'il reçut une fleur comme preuve de son passage, et qu'à son réveil, il trouvât cette fleur dans ses mains... que dire alors ?" Ce n'est pas une fleur qui pose le problème dans le roman de Heckers, mais un livre (qu'aurait écrit le narrateur, celui-là même qu'il nous est donné de lire). "L'étoile des chiens" traite, m'a-t-il semblé, d'un sujet hautement métaphysique sans en avoir l'air : celui du rêve. La construction de l'intrigue est parfaite (pas de longueurs, suspens maintenu j'usqu'à la fin), l'argument est de science-fiction, le style est sobre et précis, tout est soigné, bref, le tralala habituel lorsqu'on parle d'un texte réussi. Reste la question du LIVRE : le narrateur rencontre à un moment une jeune femme en train de lire SON livre, qu'il ne savait pas avoir écrit. Quand l'a-t-il produit (nous avons suivi ses pensées au jour le jour, et lui-même ne semble pas être au courant !). Du coup la fin, qui pourrait apparaître comme assez facile à comprendre, prend avec ce simple fait une dimension plus complexe, mais aussi plus intéressante. Mon explication serait celle-ci : David est encore en train de rêver ce livre, comme tout le reste ; rêve et réalité se confondent jusqu'au bout, faisant de "L'étoile des chiens" un roman sur les préceptes de Berkeley : puisque le monde, de toute manière, n'est que dans notre tête, ce que nous rêvons est aussi important que ce que nous vivons, ou plutôt, ce que nous vivons a aussi peu d'importance que ce que nous rêvons. Un roman qui peut, donc, devenir complexe si l'on s'y penche, mais pour chacun de nous, d'abord et avant tout, un texte passionnant comme un polar-SF très bien construit.

Coffiots : la fin des casses ? - Bruno Leclerc du Sablon

Un petit roman écrit à la manière d'un feuilleton sur le blog de l'auteur, au rythme d'une page par jour. Eh bien, c'est une jolie réussite ! L'improvisation dans l'urgence a ce côté ludique qui nous permet d'exprimer aussi nos humeurs, le résultat est "tiède encore de notre chaleur, chargé de nos goûts, de nos inclinations du moment", comme dirait Mauriac. Les défauts me paraissent à peu près inexistants : l'intrigue est menée tambour battant sans que l'ensemble perde de sa fluidité, les règles du genre sont respectées tout en privilégiant un comique né de plusieurs éléments (décalage, peut-être, entre l'argo employé et l'époque ultra-contemporaine, les "coups de bol" qui sont le quotidien de ces malfrats, l'immoralité toujours triomphante, hé ! hé !, il ne s'agit pas ici d'un feuilleton américain politiquement correct, tenez-le vous pour dit). J'ai eu l'impression de rentrer en lisant ce livre dans une farce policière bien ficelée et jubilatoire, où il est question de stratégie empruntée au bridge (celle du "mort inversé" ou quelque chose dans le genre) d'un style vestimentaire très "Cécilia en vacances" (roman éminemment actuel, disais-je), de voitures plutôt luxueuses, mais encore (si ! si !) d'amour fou et de loyauté. D'après ce qu'il a pu en raconter, Bruno Leclerc du Sablon s'est beaucoup amusé en écrivant son texte. Maintenant je comprends pourquoi.

Les coffiots dans la ville close - Bruno Leclerc du Sablon

J'ai lu ce deuxième volet des tribulations de la famille Le Menech avec un plaisir au moins aussi grand que pour le premier. J'ai envie de dire qu'il s'agit là d'un divertissement efficace et complet : mise en place d'une intrigue qui démarre pratiquement in medias res et qui ne s'essouffle jamais ; évasion (toute une thématique de la Mer et des bateaux) ; légèreté de ton, humour ; suspens habilement soutenu. Au niveau de la narration (et peut-être est-ce là ce qui m'attire le plus), je remarque une particularité plus subtile : ce que Kundera appelle le "franchissement des barrières du vraisemblable", une esthétique du non-sérieux". C'est que ces "Coffiots dans la Ville Close" sont construits sur un enchaînement de retournements de situation à l'imagination débridée ; ici plus de contraintes, mais une liberté totale qui permet tout ; on est du côté du vaudeville, de la comédie, comme une sorte de révolte contre l'esprit de sérieux qui domine le monde. Même esthétique que dans le premier tome, d'ailleurs, qui passerait mal dans certains cas mais qui ici, peut-être parce que nous ne sommes pas loin de la parodie, participe à ce plaisir dont j'essaye de parler. "Si tu ne vas pas aux coffiots, c'est les coffiots qui viennent à toi" : telle est en substance (ou littéralement) la devise de Le Menech (à noter : très en forme avec son Odile dans ce deuxième volet !), tout aussi immorale ici que dans le premier tome, et cela continue de nous plaire de façon jubilatoire. A lire avec délectation.

vendredi, avril 18 2008

KaFkaïens Magazine-L'aquarium littéraire

J'ai lu cette nouvelle ("L'aquarium littéraire") il y a plusieurs mois déjà ; j'y suis revenu ce soir pour m'en imprégner de nouveau, tant elle a le don de m'émouvoir, de me replonger (comme tous ses lecteurs, j'imagine) dans la bulle sécurisante et chaleureuse de mon enfance, lorsque sans responsabilités je passais des heures avec Jules Verne, "Le vieil homme et la mer", Tintin ou Hermann Merville. De quoi s'agit-il ? D'un homme qui rêve, certainement, qu'il vient de faire naufrage avec son bateau, dont il est le seul rescapé ; finalement il se retrouve entraîné au fond de la mer, affolé et se voyant mourir avant de se rendre compte qu'il peut respirer comme en plein air et qu'il ne ressent pas la pression et autres désagréments liés à la situation d'un être humain profondément immergé sous l'eau. A partir de là, son épopée le verra surpris par des rencontres fabuleuses, et pour tout dire "littéraires". L'argument est onirique, évidemment (malgré une sorte de réalisme, avéré ou non je n'ai pas vérifié, dans l'évocation de la faune et la flore sous-marines). Au niveau de l'interprétation, je ne pense pas qu'il faille aller au-delà du simple registre de l'émotion, qui n'en demeure pas moins une émotion originale, ce qui constitue déjà un but parfaitement légitime quand on parle de littérature. Qu'en est-il de l'auteur ? Probablement un certain Emmanuel Martin, qui se cache derrière ses initiales, comme tous les auteurs de ce site dont Kafka est le grand inspirateur. Ce texte est très bien écrit, et mérite le détour.

mardi, mars 25 2008

Lire de vrais auteurs sur le web : Prix Alexandrie 2008

Pour sa troisième et dernière édition sous sa forme actuelle, les membres du site d'émergence d'auteurs issus du Web "Alexandrie Online" viennent de décerner quatre prix littéraires (dont un « Prix Spécial du Jury ») couronnant les ouvrages de la bibliothèque ayant eu le plus de succès dans les catégories « Roman », « Nouvelle » et « Essai » durant l'année écoulée. Ils couronnent les ouvrages de la bibliothèque d'Alexandrie, publiés entre le 1er novembre 2006 et le 1er novembre 2007.



Suite à la présélection des 21 ouvrages en lice considérés comme incontournables par le Comité de Lecture (composé de cinq membres permanents) un vote des lecteurs - à la majorité - a permis de distinguer trois d'entre eux. Par ailleurs, un Prix Spécial du Jury a aussi été décerné - à l'unanimité - par les membres du Jury.



LES LAUREATS 2008



-Le Prix du Roman a été décerné à Vanessa du Frat pour Les Enfants de l'Ô.



Ce roman se passe sur la planète Lambda, en 2572, où une étrange jeune femme est découverte dans une forêt, à des centaines de kilomètres de toute civilisation. Elle donne naissance à deux enfants hors du commun, et se retrouve au coeur d'un complot qui ne tarde pas à prendre des proportions incontrôlables...



Vanessa du Frat écrit depuis son plus jeune âge. Après des études de biologie passionnantes, mais sans réels débouchés, elle trouve un travail alimentaire qui lui permet de continuer à vivre ses deux passions : l'écriture et le webdesign. Les Enfants de l'Ô, une expérience littéraire audacieuse et entièrement gratuite, est son deuxième roman.



-Le Prix de l'Essai a été décerné à Janik PILET pour Dieu ou La Pierre philosophale du physicien.



Cet essai est l'exposé de la vision du monde que peut avoir un scientifique confirmé, au-delà du strict domaine réservé aux sciences exactes. L'examen du problème de la conscience en particulier le conduit à proposer une vision personnelle et originale de la spiritualité, compatible avec les connaissances actuelles et en résonance avec les sagesses les plus anciennes.



Professeur d'université, Docteur ès sciences, Physicien généraliste et cofondateur d'une école universitaire d'ingénieurs, Janik Pilet a publié de nombreux d'articles scientifiques internationaux dans le domaine de la spectroscopie et la biologie moléculaire.



-Le Prix de la Nouvelle a été décerné à Jean-Luc FLINES pour Haru Asakaïdo et le silence inaltérable du blanc de céruse.



Cette nouvelle atypique vous fera voyager et découvrir un Japon insolite du 19e siècle, non pas celui des samouraïs mais plutôt l'univers des peintres d'aquarelles et d'estampes au travers du drame de la jeune artiste Gofun Shiryuki atteinte de saturnisme, maladie liée à son art. C'est le récit d'une amitié un peu surnaturelle qui sublimera un autre peintre, femme elle aussi, Haru Asakaïdo !



Jean-Luc Flines est un auteur dont l'inspiration est à la fois classique et surréaliste, à la frontière de l'absurde. L'écriture est une de ses raisons de vivre et son imagination, l'âme de ses histoires. Il écrit notamment des textes sur le thème du fantastique, des chroniques imaginaires à propos de l'Amérique des années 1910-1960 et des récits dans lesquels l'art occupe une place essentielle. Il est également aquarelliste et illustre régulièrement ses propres textes.



-Le Prix Spécial du Jury a été décerné à Mathieu Goux pour son roman Rosa Rosarum.



Ce roman pose les bases d'une question existentielle : une malédiction est-elle génétiquement transmissible ? Tout porte à le croire : lorsqu’un honnête garçon croise la route d’une mystérieuse rose perdue au milieu de nulle part, il lui semble développer un mal inconnu qui, petit à petit, le détruit. Hallucinations, doutes, il s’écarte, de déception en déception, de tout ce qui faisait jadis sa joie de vivre.



Mathieu Goux est tombé sous le charme de la plume sur le tard, à sa majorité. Après un passage non transformé en médecine, il est aujourd'hui étudiant en troisième année de Lettres modernes, à Poitiers. Il brigue, à terme, une place de professeur d'université, mais cherche à percer encore et toujours plus dans la voie de l'écriture. Il a fait un petit détour par une émission de radio locale, publie, de-ci, de-là, de petits articles sur des sites d’amis et propose divers manuscrits aux éditeurs.



Les ouvrages présents dans la bibliothèque sont consultables librement au format PDF ou bien peuvent être obtenus en version papier sur les sites d'impression à la demande partenaires. Les ouvrages référencés dans la librairie, quant à eux, vous redirigeront directement vers le site de l'auteur ou celui de l'éditeur. Consultez la quatrième de couverture de chaque ouvrage où un lien direct vous permettra d'y accéder.

mercredi, février 27 2008

La nuit est le jour - Steve Catieau

Une vraie découverte. Je me suis fait un peu peur au début (quelques poèmes monocordes), mais très vite l'enthousiasme m'a gagné : j'ai trouvé l'ensemble réussi, fort, empreint de modernité. Car il s'agit ici de la difficulté d'être d'un individu ancré dans notre société, et je crois que c'est là que réside le plus grand intérêt de "La nuit est le jour" : il s'agit d'un recueil de poèmes (avec quelques perles, comme "Tuer l'écrivain", qui m'a rappelé de loin le "Ne me quitte pas" de Brel, j'en ignore la raison), mais il s'agit également d'autre chose : une sorte de lutte pour ne pas mourir. Houellebecq a écrit un ouvrage (assimilé aussi à un recueil de poèmes) intitulé "Rester vivant", leitmotiv qui aurait pu être celui du texte de Steve Catieau. Sauf que "La nuit est le jour" est encore un bien meilleur titre.

Steve Catieau est aussi un nouvelliste de talent, il publie régulièrement des textes courts sur son blog (j'en ai lu quelques-uns avec un plaisir sincère) : http://styx-on-the-moon.over-blog.com/.

mardi, février 26 2008

Le chien vert - Guy Sembic

Tout ce qui fait le style et la personnalité de Guy Sembic construit cet ouvrage : la critique d'un monde déshumanisé, une sensibilité à fleur de peau, une certaine conception des relations humaines (thématique philosophique), imagination anarchiste, délirante, parfois scatologique ; humour poétique. Je crois qu'il faut que tous ces ingrédients se mélangent et se stimulent entre eux pour donner ce que nous lisons ici ; lorsqu'il en manque un ou deux à cette recette explosive, c'est moins bon (quelques textes, ultra-rares, surtout au début, m'ont parus un peu fades). Dans l'ensemble, "Le chien vert" est un régal, à tout point de vue, le texte à lire pour aborder Guy Sembic pour la première fois. Ne pas oublier : Guy Sembic est aussi un raconteur d'histoires, quels que soient les sujets (politiques, autobiographiques, ou encore fantasmagoriques) il sait captiver son lecteur. Un texte unique s'inscrivant dans une oeuvre singulière et de grande qualité.

mercredi, janvier 30 2008

Equinoxe - Jean-Christophe Heckers

J'ai relu recemment cette nouvelle dont on ne sort pas indemne. Je me suis toujours promis d'en parler, sans y parvenir jamais ; aujourd'hui je me lance. Il s'agit d'une petite merveille, complexe et accaparante, d'une beaute glaciale (glacial, au sens de "froid", puisque le style ici est metallique, sobre et parfait, mais aussi parce qu'il y a quelque chose de fige, la meme scene se repetant au moins trois fois et l'on n'en sort pas, comme dans certains cauchemars). Je releve une sorte de contradiction par rapport a la presentation de l'ouvrage : le "Vous" est-il vraiment le narrateur ? Dans ce texte on a parfois le sentiment que Heckers avait commence par ecrire "je" avant de mettre "vous" a la place, comme dans la "Modification" de Butor ; trouvaille geniale, puisque, si je ne me suis pas senti pour autant narrateur, je me suis senti implique et cela m'a derange, comme faisant appel a ma mauvaise conscience, comme si l'on voulait m'obliger a participer a quelque chose qui me depasse. La presentation de l'ouvrage, encore une fois, nous dit qu'il ne faut pas se poser trop de questions, dans la mesure ou il serait impossible d'y repondre ; c'est tout a fait vrai, nous avons ici une nouvelle qui se lit et se relit a l'infini sans que nous puissions en saisir le sens definitif. Le cote "SF" est evident : des experiences qui me rappellent un peu "Matrix", avec cette confusion a la fin entre reve et realite. La vraie reussite du texte tient au fait que tous nous parvenons a suivre le deroulement de l'intrigue, nous en comprenons la fin, mais c'est le "pourquoi du comment" qui nous echappe, comme dans 'Le proces" de Kafka. Il aurait fallu que Heckers nous revele peut-etre ce qu'aurait ete une experience reussie, puisqu'il "nous" est reproche d'avoir tout fait rater ; l'auteur s'en est bien garde (habilement) ; a nous de voir ce que nous voulons y voir, en fonction de notre propre (mauvaise ?) conscience. La fin est terrible : nous donne-t-on une derniere chance de rectifier notre "erreur" en nous replongeant dans l'experience ? Ou bien, l'experience et la realite se sont-elles rejointes ?

A decouvrir sur Alexandrie Online : http://www.alexandrie.org/resum.php?lid=243

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